LE MENSUEL DES POUVOIRS LYONNAIS

Hervé Legros, les coulisses d’une chute

Après la liquidation judiciaire de la société de gestion d’Alila, le groupe d’Hervé Legros spécialisé dans le logement social, tous les acteurs du dossier parlent de « catastrophe ». Et se renvoient la balle quant à la responsabilité de ce « gâchis ». Entre le créateur d’Alila, les grands patrons prêteurs et la justice, le match est loin d’être terminé.

Janvier 2023. Au lendemain de la garde à vue d’Hervé Legros et de son épouse Géraldine Mazier, la directrice juridique du groupe lyonnais, les langues se délient lors de la cérémonie de vœux de la CCI Lyon Métropole, dans la grande salle de la Corbeille.

C’est le sujet qui tourne en boucle dans toutes les conversations. « La boîte est morte, avance un auditeur. Dans un secteur de la construction qui repose sur la confiance avec les collectivités locales, les banquiers et les prestataires constructeurs, les dégâts causés par ce qui s’est passé hier sont irrémédiables. Il va tout faire pour s’en sortir parce que c’est un combattant et qu’il y a des tas de programmes. Mais, pour Alila, c’est mort. »

Une fin prévisible dès janvier 2023 ? Ce n’est pas l’avis de Bernard Terrat, industriel drômois (ancien président d’ICBT, entre autres) qui, avec d’autres grands patrons lyonnais ( dont Jean-Michel Aulas, les Lavorel père et fils, Roland Tchénio, etc.) a prêté de l’argent à Hervé Legros dans le cadre d’émissions obligataires.

« C’était un petit incident. Tout cela aurait pu se régler très vite. On avait une entreprise avec un carnet de commandes de 1 milliard d’euros, avec des clients qui paient, un schéma économique qui se tient. Et, parce qu’on est confrontés à un dirigeant incontrôlable et incontrôlé, un enfant gâté qui a pété les plombs, on en arrive à cette liquidation. »

« Hervé Legros a envoyé bouler tout le monde »

Très remonté, Bernard Terrat ajoute encore : « Hervé Legros a envoyé bouler tout le monde. Il n’a tenu compte de rien. On a mis nos économies en toute confiance. Le comportement du conciliateur est incompréhensible. Pour avoir des informations, on nous demandait de suspendre nos créances. On a proposé un plan, on n’a pas eu de réponse. »

Stanislas Lavorel, le représentant des obligataires (ils ont apporté autour de 30 millions d’euros), ne dit pas autre chose : « On s’est fait balader ces derniers mois. Hervé Legros a continué à se verser des salaires… Nous avions proposé une autre solution qui n’a pas été entendue. C’est dommage pour l’entreprise et ses salariés. »

© Susie Waroude

Hervé Legros a-t-il précipité la fin d’Alila en ne se retirant pas plus vite et en utilisant tous les moyens à sa disposition (conciliation, mandat ad hoc) pour trouver une solution ou gagner du temps ?

Sans surprise, son avocat Me Aurélien Barrié, réfute cette idée : « C’est un dossier très complexe. Des contacts avaient été pris avant les procédures amiables et jusqu’à ces derniers jours, des solutions pouvaient être trouvées. Hervé Legros était prêt à partir si la continuité était assurée. Seulement, il fallait trouver le financement d’une période d’observation, même courte. C’est pour cela que l’on souhaitait une procédure de sauvegarde accélérée qui a été refusée par le tribunal de commerce. Ce qui se passe est catastrophique. »

Hervé Legros a l’art de se faire des ennemis

Si Hervé Legros ne peut pas être tenu pour l’unique responsable de ce fiasco, il y est quand même pour beaucoup. « Hervé Legros, c’est quelqu’un de brillant, de visionnaire aussi, estime un ancien proche du patron d’Alila. Il a su répondre à un besoin qui avait été délaissé dans le logement social et bâtir un modèle économique qui fonctionnait. Dans la promotion immobilière, on peut gagner très vite de l’argent. Il faut juste savoir garder les pieds sur terre. L’erreur qu’il a commise, c’est de ne pas avoir de considération pour ceux qui lui ont prêté de l’argent. Il a pris les obligataires à rebrousse-poil et froissé des patrons lyonnais très importants qui étaient prêts à aider. Il ne faut jamais mordre la main de celui qui vous nourrit. Il faut savoir être humble et faire amende honorable. »

Sauf qu’Hervé Legros est devenu « sourd », n’écoutant plus les appels à la modération.
Ses colères et propos blessants ont laissé des traces. Jusqu’au Ciri (Comité interministériel de restructuration industrielle) qui dépend de Bercy, où, lors d’une réunion, il n’a pas pu s’empêcher de tacler l’un des intervenants pointant son « accent campagnard ».

L’art de se faire des ennemis se paie très cher aujourd’hui. Et l’affaire n’en est qu’à ses débuts. Si le sort de la société de gestion d’Alila a été tranché, la justice pourrait s’intéresser maintenant aux différentes holdings d’Hervé Legros (Alila Participation, HPL Promotion), celles par qui l’argent transitait jusqu’à aujourd’hui. Les obligataires et les actionnaires minoritaires d’Alila, qui ont perdu, dans les deux cas, autour de 30 millions d’euros, n’entendent pas en rester là.

La tentation de Milan…

Hervé Legros passe désormais une bonne partie de son temps à Milan depuis plusieurs mois. Ses enfants seraient scolarisés dans la capitale lombarde. Est-ce de la capitale de la mode qu’il prépare la reconstruction qu’il annonce dans son post sur LinkedIn le 29 octobre ? C’est une communication ciselée qu’il délivre : « J’ai tout perdu… mais je n’ai rien perdu. Je reviens plus fort […] avec l’envie de me réinventer ». Et d’ajouter : « C’est possible de se construire en partant de rien. C’est possible de réussir au-delà des attentes. C’est possible de tout perdre. C’est possible de se reconstruire. »

Quelle suite pour les programmes en cours ?

Si le tribunal de commerce de Lyon a prononcé la liquidation judiciaire de la société de gestion d’Alila, l’histoire du groupe Alila ne peut pas s’arrêter du jour au lendemain. Ne serait-ce que parce que plusieurs dizaines de programmes sont encore en cours. Combien ? Certains parlent d’une cinquantaine, d’autres avancent le chiffre de 80. « Seul Hervé Legros le sait avec certitude », estime un observateur. Chacun de ces programmes est porté par une SCCV — Société civile de construction vente — bénéficiant d’une GFA — Garantie de fin d’achèvement — (assurance).

Toutes les SCCV sont reliées à Alila Participation, qui n’est pas concernée par la liquidation judiciaire. Que peut-il se passer maintenant ? Des déclarations de cessation de paiement pour chacune des SCCV ? C’est l’hypothèse la plus probable. Et après ? On imagine que les assureurs ne vont pas financer la reprise des travaux, avec forcément des surcoûts, sans se retourner contre les porteurs des programmes. De son côté, la justice va-t-elle s’intéresser de près à Alila Participation et HPL, les sociétés holdings d’Hervé Legros ? « L’histoire est loin d’être finie », conclut un spécialiste de l’immobilier.

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