Vous inaugurez le 21 novembre votre nouveau campus de Gerland. Ce sera le jour du Beaujolais nouveau, on peut dire que c’est aussi le jour de l’emlyon nouveau ?
Isabelle Huault : Ah, je n’avais pas fait attention à la concordance des dates… Mais effectivement, ce nouveau campus incarne les nouvelles ambitions et la nouvelle stratégie d’emlyon en matière d’excellence pédagogique. Surtout, je pense que c’est un nouveau lieu emblématique pour notre école, bien sûr, mais aussi pour la ville de Lyon.
Nous voulons accueillir ici des événements culturels et scientifiques, des conventions d’entreprise… Ce bâtiment a vocation à être accessible, ouvert sur la ville. C’est donc un nouveau contexte qui s’ouvre avec ce nouveau campus.
Cela fait désormais deux mois que vous avez quitté Écully pour Gerland. Vous avez déjà pris vos marques ?
Nous prenons nos marques progressivement. Il y a, bien sûr, encore quelques ajustements à faire, mais globalement le déménagement s’est remarquablement bien passé.
Il faut dire que tout avait été bien préparé depuis plusieurs mois, car il y avait non seulement une dimension matérielle avec plus de 200 camions qui ont fait des allers-retours d’Écully à Lyon, mais aussi des changements importants sur le plan organisationnel à prendre en compte.
Cela a donc été un grand chambardement, mais nous avons aujourd’hui un très bel outil pour attirer les meilleurs étudiants, les meilleurs professeurs et le meilleur personnel administratif.
Justement, quels premiers retours avez-vous côté enseignants et étudiants ?
Nous avons prévu de mener une enquête sur le sujet. En attendant les résultats scientifiques, je dirais que la perception générale est très positive, que ce soit pour les étudiants et les professeurs qui travaillent dans des salles de classe avec des équipements technologiques de très bon niveau, mais aussi pour le personnel administratif qui est désormais plus proche des étudiants.
À Écully, les bâtiments étaient fragmentés alors qu’aujourd’hui tout le monde est rassemblé sur le même campus.
Quand vous êtes arrivée à l’été 2020, ce projet de nouveau campus de Gerland était déjà bien engagé. Vous avez quand même pu apporter votre patte ?
Oui, le projet était déjà assez engagé puisque le terrain avait été acheté, le projet architectural de Philippe Chiambaretta avait été retenu… Mais j’ai pu influer sur quelques aménagements intérieurs, dont la disposition de la bibliothèque que je considère comme une vitrine de ce nouveau campus pour bien indiquer que nous sommes dans un lieu académique.
LE GRAND ENTRETIEN EN VIDÉO ⬇️
Lorsque vous avez été nommée, emlyon était dans la tourmente avec un précédent directeur général qui n’avait pas tenu un an, et une ouverture du capital à des actionnaires privés pas franchement bien acceptée des enseignants. Comment êtes-vous arrivé à pacifier tout cela et à apporter de la sérénité ?
C’est vrai qu’emlyon a pu être un peu désorienté à un moment, il a donc fallu rassurer. La première chose a été d’initier notre nouveau plan stratégique en écoutant beaucoup les différentes parties prenantes d’emlyon, dont les contre-pouvoirs, car ils existent au sein d’une école.
Je suis très attachée à ce principe de collégialité que j’ai beaucoup pratiqué lorsque j’exerçais des fonctions de direction à l’université (Isabelle Huault était présidente de Dauphine avant de prendre la direction d’emlyon, NDLR).
Je pense que si l’on écoute tout le monde, cela rend l’ambiance générale un peu plus sereine. J’ai ensuite fait des arbitrages avec des marqueurs forts comme l’excellence académique et une attention particulière portée à la recherche.
Mais à l’époque, il fallait quand même être un peu kamikaze pour accepter la mission ?
Non… la gouvernance était instable, mais emlyon n’était pas complètement au fond du trou non plus. Les fondamentaux étaient toujours là : des professeurs – chercheurs remarquables, du personnel impliqué, des étudiants de qualité bien sélectionnés… Donc l’école traversait des turbulences, mais il y avait une prise de risque très mesurée.
Toujours est-il que vous arriviez, en plus, juste après l’ouverture du capital d’emlyon qui est la première grande école consulaire à faire appel à des investisseurs privés, et cela n’était pas franchement bien perçu dans le monde des grandes écoles…
Je pense surtout que c’est le modèle qui était mal compris. Les autres acteurs comme notre régulateur (qui a réduit l’habilitation de l’école de cinq ans à trois ans après l’ouverture du capital, NDLR) n’étaient pas très rassurés. Nous devions prouver que ce modèle permettait de préserver la qualité académique.
« Nous voulons accueillir ici des événements culturels et scientifiques, des conventions d’entreprise… »
Il fallait en quelque sorte donner des gages avec des preuves concrètes, et je crois que l’on peut dire, au bout de cinq ans, que c’est le cas à emlyon qui progresse dans les classements internationaux. Mais je considère également qu’il faut être vigilant et que cela dépend beaucoup de l’actionnaire. Peut-être que je ne tiendrais pas le même discours si c’était un autre actionnaire au capital d’emlyon…
En quoi votre actionnaire Galileo Global Education vous semble compatible avec emlyon ?
Contrairement à un fonds d’investissement, Galileo est un acteur majeur de l’enseignement supérieur privé (présent au capital de 61 écoles d’excellence dans 18 pays, NDLR) avec une forte logique de développement mondial, mais aussi une vision long terme.
Par exemple, ils n’ont jamais revendu leur participation après avoir investi dans une école, donc je suis confiante pour la stabilité de l’actionnariat d’emlyon, et j’estime qu’il est très précieux d’avoir un actionnaire de cette catégorie dans notre capital.
Avec Galileo Global Education, emlyon garde-t-elle une certaine autonomie ou devenez-vous une école du groupe parmi d’autres ?
Galileo est très attaché à préserver l’ADN de chaque école et laisse une grande autonomie sur le plan pédagogique, académique et scientifique. Et ça, c’est extrêmement important.
De surcroît, il faut rappeler que le capital d’emlyon est toujours détenu à 51 % par la Chambre de commerce et d’industrie de Lyon qui est présente et bien présente, qui nous assure à la fois un ancrage territorial avec les milieux socio-économiques ainsi qu’une dimension publique qui nous tient à cœur, car emlyon poursuit une logique d’intérêt général.
Et cet actionnariat partagé, avec une dimension hybride entre le monde du secteur public et le monde privé, nous donne des marges de manœuvre dans l’exécution de notre stratégie. D’autant que nos deux actionnaires sont alignés, donc on a la chance d’avoir désormais une gouvernance stabilisée. On ne peut pas dire que c’était tout à fait le cas lorsque vous je suis arrivée à la direction de l’école…
Vous diriez donc que les écoles de commerce issues du monde consulaire des CCI n’ont pas d’autre choix que d’aller vers une ouverture au privé, comme Lyon l’a fait ?
Ça, je n’en sais rien. Tout dépend de la situation de chaque école de commerce. Mais on sait que plusieurs écoles de management en France regardent aujourd’hui avec intérêt ce modèle qui était un peu un repoussoir, il y a encore quatre ans.
« J’ai beaucoup écouté les différentes parties prenantes d’emlyon, dont les contre-pouvoirs, car ils existent au sein d’une école »
Mais concrètement, que vous apporte Galileo dans votre stratégie de développement ?
Ce sont d’abord des moyens financiers. Galileo a apporté 50 millions d’euros lorsqu’il est arrivé au capital de l’école. Ce qui nous permet d’investir dans le digital, dans l’immobilier ou encore de réaliser une petite opération de croissance externe puisque l’on a pris des parts, l’année dernière, dans la London Interdisciplinary School.
Et, au-delà de ces efforts financiers, Galileo possède une expertise sur des sujets clés aujourd’hui pour l’enseignement supérieur comme, par exemple, la dimension digitale, la capacité à attirer les étudiants internationaux ou encore une rigueur dans la gestion financière de l’école.
Nous avons également créé des partenariats avec certaines des écoles les plus reconnues de Galileo Global Education telles que l’Istituto Marangoni (Milan) ou encore le Cours Florent à Paris. Beaucoup de choses que nous avons engagées n’auraient pas été réalisées sans ce soutien opérationnel et financier.
Vous parlez beaucoup d’excellence académique. Est-ce compatible avec les objectifs de Galileo qui veut former toujours plus d’élèves et qui raisonne beaucoup en termes de rentabilité ?
C’est totalement compatible. D’autant que nous avons de nombreux garde-fous — la Commission d’évaluation des formations et diplômes de gestion (CEFDG), le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres), les accréditations internationales… — qui nous obligent à investir dans la recherche, dans la pédagogie, dans l’expérience étudiante, et à ne pas dévier de notre feuille de route.
Guillaume Pepy a été nommé, fin 2022, au poste de président du conseil de surveillance d’emlyon. Comment l’ancien patron de la SNCF s’implique-t-il dans l’école ?
Guillaume Pepy, c’est un sparring-partner. Cela veut dire que je peux lui demander des conseils, notamment sur les aspects des relations avec le monde socio-économique. Il s’implique beaucoup pour nous mettre en relation avec des entreprises, notamment parisiennes.
« Guillaume Pepy, c’est un sparring-partner. Nous avons des échanges toutes les semaines »
Nous avons ensemble des échanges hebdomadaires et il nous aide aussi en attirant notre attention sur tel ou tel sujet de notre feuille de route stratégique. Guillaume Pepy est donc extrêmement utile et nous sommes très honorés de l’avoir comme président du conseil de surveillance.
On a beaucoup parlé de votre nouvel ancrage lyonnais. Et à l’international, est-ce qu’il y a encore une volonté d’ouvrir des campus internationaux ou ce n’est plus la stratégie de Galileo ?
Je précise que ce n’est pas Galileo qui élabore la stratégie, mais le management d’emlyon avec le soutien de ses actionnaires. Pour répondre à votre question, nous avons un campus très dynamique et performant à Shanghai depuis 2012 ainsi que des bureaux en Inde et en Afrique.
Donc on regarde en Amérique du Nord, et si une opportunité se présente d’ouvrir un campus en partenariat avec un partenaire académique local, on l’étudiera.
L’un de vos objectifs était qu’emlyon intègre le top 15 européen des business schools dans les classements internationaux. Où en êtes-vous où aujourd’hui ?
On a atteint cet objectif puisque nous sommes dorénavant dans le top 10 européen, selon le dernier classement du Financial Times. La progression a été beaucoup plus rapide qu’anticipée, donc cela veut dire que nous sommes sur la bonne trajectoire. Ces classements internationaux, on les regarde attentivement parce que les élèves les regardent attentivement.
On ne peut pas faire comme s’ils n’existaient pas. Mais nous avons évidemment d’autres critères que la prise en compte des classements pour travailler notre stratégie. Et notre boussole principale, c’est notre statut d’entreprise à mission.
Après bioMérieux, d’autres entreprises lyonnaises au capital ?
Le groupe BioMérieux fait partie, depuis deux ans, du tour de table d’emlyon avec une prise de participation de 3 % du capital. Et c’est, à ce jour, la seule entreprise lyonnaise à être actionnaire de l’école de management. « Nous sommes très heureux que BioMérieux ait fait ce geste. Et c’est un sujet d’actionnaires qui n’est pas de mon ressort, mais je pense que ça serait un très beau signal pour emlyon d’avoir encore plus d’entreprises de la région présentes à son capital. Donc je pense que le sujet n’est pas complètement clos », rapporte Isabelle Huault.
Merci d’avoir lu cet article ! Si vous avez un peu de temps, nous aimerions avoir votre avis pour nous améliorer. Pour ce faire, vous pouvez répondre anonymement à ce questionnaire ou nous envoyer un émail à [email protected]. Merci beaucoup !