Il n’aurait guère pu trouver meilleur exemple. Quelques heures après avoir présidé sa première assemblée régionale début octobre, Fabrice Pannekoucke insistait, depuis son bureau du cours Charlemagne, sur sa volonté d’exercer son mandat au plus près des territoires et des attentes des habitants : « Cette proximité est essentielle. Donc s’il faut s’arrêter en chemin pour un sujet particulier sur le terrain, ça ne me pose aucun problème. J’ai toujours une paire de bottes dans ma voiture… »
Il ne croyait pas si bien dire. Moins d’une semaine après ces déclarations, le nouveau chef de l’exécutif régional bousculait son agenda pour mettre les pieds dans la gadoue à Brignais et Annonay, deux des communes les plus sévèrement touchées par les intempéries de la mi-octobre.
➔ À lire aussi : Fabrice Pannekoucke élu président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes
La mine grave, il constatait l’étendue des dégâts avec la ministre Agnès Pannier-Runacher, dépêchée à ses côtés dans le nord de l’Ardèche. « Ce qui s’est produit ici est sans précédent de mémoire d’homme », insistait-il face aux caméras.
La veille, le nouveau président de la Région échangeait avec les secours et la préfète Fabienne Buccio depuis le Centre opérationnel départemental du Rhône, avant d’enchaîner les interventions télévisées pour rassurer les habitants sinistrés.
La nouvelle vie à 100 à l’heure de Fabrice Pannekoucke
Une autre séquence inattendue dans un mois d’octobre déjà bien chargé avec entre autres le Sommet de l’élevage à Cournon-d’Auvergne, deux visites dans des lycées pris pour cible par des casseurs à Vénissieux, un passage sur les travaux de déblaiement de La Bérarde en Isère, le lancement d’une mutuelle santé, un entretien avec le ministre des Transports François Durovray et l’animation donc, d’une première assemblée plénière dans l’hémicycle régional.
Ainsi va la nouvelle vie à 100 à l’heure de Fabrice Pannekoucke, successeur désigné de Laurent Wauquiez à la présidence d’Auvergne-Rhône-Alpes. « C’est très exigeant d’être à la tête d’une maison comme celle-ci, mais je prends du plaisir tous les jours dans ces nouvelles responsabilités », assure l’ancien maire de Moûtiers en Savoie, que personne — ou presque — n’imaginait trois mois plus tôt à la tête de la deuxième région de France.
Pour analyser la bascule de cette trajectoire politique, il convient de revenir au 4 septembre dernier, sur les coups de 18 heures, à l’issue d’une réunion de la majorité régionale menée par Laurent Wauquiez. Touché par le cumul des mandats après son élection comme député de Haute-Loire début juillet, le président démissionnaire doit adouber son successeur avant l’élection du nouveau chef de l’exécutif, prévue le lendemain matin en assemblée plénière.
Le suspense est entier. « Quand je suis parti de Moûtiers le 4 en début d’après-midi, j’ai dit à mon épouse que je ne savais pas si j’allais revenir comme président de Région, vice-président ou simple conseiller régional », assure Fabrice Pannekoucke.
La surprise du chef
La candidature du Savoyard, 10e vice-président du conseil régional, est finalement actée et officialisée par Laurent Wauquiez en début de soirée. La surprise est totale. Jamais le nom de l’élu n’avait filtré dans la presse, au contraire des favoris attendus Stéphanie Pernod, Nicolas Daragon ou Frédéric Aguilera.
« Nous avons tous perdu nos paris. Fabrice Pannekoucke, c’est une vraie surprise pour tout le monde », estime à chaud le vice-président du groupe socialiste à la Région, Johann Cesa. « C’est peut-être une surprise pour certains, mais c’est un nom qu’on entend depuis plusieurs mois dans nos rangs », confie quelques heures plus tard le maire LR du 2e arrondissement et conseiller régional Pierre Oliver, au sortir d’un dîner avec Fabrice Pannekoucke et les élus de la majorité près du siège de la Région.
« C’est un élu solide, avec beaucoup d’expérience, prolonge le maire de Mions et membre du nouvel exécutif régional, Mickaël Paccaud. Ici à Lyon, on le connaît moins, mais il est très apprécié et implanté chez lui en Savoie. »
Un élu très implanté en Savoie
Élu dans son fief de la Tarentaise depuis plus de 20 ans, Fabrice Pannekoucke, forestier de formation, s’est d’abord fait un nom en 2001, à seulement 26 ans, comme maire de Saint-Jean-de-Belleville, un petit village satellisé sur 11 hameaux.
« Le genre d’endroit où vous devez avoir sept générations au cimetière pour être considéré du pays, mais où j’ai pu me faire accepter et tracer mon chemin », souligne cet enfant du Nord, originaire de Malo-les-Bains dans la banlieue de Dunkerque.
Réélu en 2008, l’édile prend la présidence de la communauté de communes Cœur de Tarentaise en 2009 et gagne la mairie de Moûtiers en 2014, puis en 2020. « C’est un grand bosseur, apprécié, très implanté et impliqué auprès des maires ruraux », pose Jean-Louis Joly, l’ancien directeur général du Medef Lyon-Rhône, aujourd’hui conseiller délégué à la mairie de Queige dans le Beaufortain.
« C’est un garçon très travailleur dont je ne pense que du bien, complète l’ancien ministre et indéboulonnable président du Département de Savoie, Hervé Gaymard, dont Fabrice Pannekoucke a été l’assistant parlementaire (2007-2010) puis le directeur de cabinet (2011-2013). J’ai appris qu’il allait prendre la tête de la Région quelques jours avant que cela se fasse. Laurent Wauquiez m’a appelé pour me demander ce que j’en pensais, je lui ai répondu que c’était une excellente idée. Mais je ne vais pas vous raconter d’histoires, pour moi c’était une grande surprise. Donc j’imagine que pour Fabrice aussi ! »
L’un des lieutenants de Laurent Wauquiez
Candidat désigné de la majorité, Fabrice Pannekoucke est ainsi élu président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes le jeudi 5 septembre, dans un scrutin sans suspense. Le maire de Moûtiers recueille 132 voix contre 51 pour le candidat de la gauche unie Maxime Meyer, et 17 pour le candidat RN, Andréa Kotarac.
« C’est un immense honneur de présider cet hémicycle, déclare-t-il en préambule d’un discours d’investiture teinté d’émotion. J’ai naturellement une pensée pour Laurent Wauquiez, je sais ce que je lui dois. C’est l’une des fiertés de mon parcours d’élu et d’homme d’avoir œuvré près de dix ans à ses côtés pour notre territoire. »
D’abord simple conseiller régional en 2015, puis conseiller délégué aux Espaces valléens en 2017, président de l’agence régionale du tourisme en 2021 et vice-président en charge de l’agriculture depuis 2022, Fabrice Pannekoucke s’est imposé au fil des années comme l’un des lieutenants du président Wauquiez.
➔ À lire aussi : Auvergne-Rhône-Alpes Tourisme : Fabrice Pannekoucke satisfait du bilan hivernal
« J’ai une confiance totale en Fabrice. Je l’ai vu monter en puissance et déployer ses ailes sur des sujets techniques comme le tourisme ou l’agriculture avec brio, témoigne Laurent Wauquiez, pour justifier son choix de lui laisser les clés de la Région. Il a toujours réussi dans les missions que je lui avais confiées. Ce passage de témoin, c’est aussi la reconnaissance de ce parcours. Je lui passe donc le relais sans ambiguïté, je sais qu’il réussira. »
Alpes 2030 dans la balance
Le profil du Savoyard, spécialiste de la montagne, fait surtout écho à la future organisation des Jeux olympiques d’hiver en 2030 dans la région, dossier très cher à Laurent Wauquiez. Les deux hommes ont travaillé en étroite collaboration ces derniers mois sur cette candidature, renforçant de fait leur complicité.
« On ne peut pas réduire ce passage de flambeau au seul dossier des JO mais c’est bien sûr un énorme marqueur, plaide Fabrice Pannekoucke. On a commencé à parler de la présidence avec Laurent au début de l’été, avec des discussions très discrètes qui m’ont allumé certaines lanternes. J’ai pris le temps d’en parler avec mon épouse, de me demander si j’en avais la force et l’envie, mais je ne m’étais préparé à rien. Il y a beaucoup d’autres élus qui auraient pu être à ma place aujourd’hui. »
À commencer par Stéphanie Pernod, candidate au poste et largement favorite, étrangement laissée-pour-compte par le président démissionnaire. En choisissant son 10e vice-président plutôt que sa première vice-présidente, Laurent Wauquiez se serait surtout assuré, à en croire certains bruits de couloir, de pouvoir aisément reprendre son fauteuil en cas d’échec à la présidentielle de 2027.
« Il veut pouvoir revenir si ça se passe mal à Paris et éviter le scénario d’une guerre fratricide comme entre Collomb et Kimelfeld à la Métropole de Lyon entre 2019 et 2020, note un fin connaisseur de la politique lyonnaise. C’est plus simple de retrouver son siège avec un Fabrice Pannekoucke sans grande ambition politique et qui lui doit tout, qu’avec une Stéphanie Pernod plus aguerrie. »
Laurent Wauquiez reste au plus près du pouvoir
Fidèle parmi les fidèles, le nouveau président de Région ne manque d’ailleurs pas une occasion de vanter l’action de son prédécesseur dans ses prises de parole. « Je sais l’engagement qui a été le sien pour notre région, je le rappelle de manière régulière parce qu’il ne faut pas que cela s’oublie. La physionomie actuelle de la région, nous la devons à Laurent Wauquiez. Je suis très fier de l’avoir aujourd’hui comme conseiller régional à mes côtés, et je compte bien m’appuyer sur son expérience. »
Nommé « conseiller spécial du président », un rôle créé sur mesure, le chef du groupe LR à l’Assemblée nationale conserve une influence majeure dans les arcanes régionaux. En octobre, Laurent Wauquiez est apparu plusieurs fois lors de cérémonies protocolaires, et passe de nombreuses têtes dans les vidéos promotionnelles de la Région diffusées sur les réseaux sociaux.
« On espérait tourner la page Wauquiez après huit années de fractures. On ne veut pas qu’il revienne par la fenêtre et s’amuse à tirer les ficelles en coulisse comme un marionnettiste », peste la cheffe du groupe socialiste Najat Vallaud-Belkacem.
Des craintes aussi partagées de l’autre côté de l’hémicycle, dans les rangs du Rassemblement national : « Wauquiez s’éloigne mais il va garder la mainmise sur la Région. Le nouveau président va lui obéir et sera comme son vassal », grognent Andréa Kotarac et Michèle Morel.
Fabrice Pannekoucke, dans la continuité
Dans quelle mesure Fabrice Pannekoucke aura-t-il les mains libres à la présidence ? La question suscite bien des remous sous la verrière de l’Hôtel de Région.
Dans son discours d’investiture, l’élu savoyard s’est immédiatement inscrit dans les pas de son prédécesseur, évoquant des thèmes comme la relocalisation industrielle, la sécurité ou l’équité territoriale, tout en tapant sur « l’écologie punitive » et « les dérives de l’assistanat ». Des éléments de langage typiques de Laurent Wauquiez.
« Nous sommes dans une transition de la présidence, pas dans un renouvellement de l’hémicycle régional. La ligne directrice va donc rester la même, dans la continuité du programme de 2015 et 2022 sur lequel nous avons été élus », précise le nouveau chef de Région.
Avant d’affirmer plus vigoureusement son statut : « Laurent m’a passé le témoin, donc aujourd’hui c’est moi qui préside de manière pleine et entière. La ligne est la même, mais nous n’avons pas le même style, la même approche, ni la même manière d’aborder les dossiers. »
Nouvelle méthode et nouveau style
La méthode Fabrice Pannekoucke tient justement en quelques points clés : travail, rigueur, écoute, ordre et respect des horaires. Et la formule semble déjà porter ses fruits dans l’hémicycle. Les premiers pas du nouveau président, plus policé et modéré avec l’opposition que son prédécesseur, sont salués de tous bords.
« On note un changement significatif, même si c’était difficile de faire pire que Laurent Wauquiez, relève Cécile Michel, la coprésidente du groupe écologiste. Il veut donner un autre ton, avec beaucoup plus d’écoute. On espère que cela va durer. »
L’élue lyonnaise a même été reçue, à l’instar de tous les autres présidents et coprésidents de groupe, par Fabrice Pannekoucke peu après son élection. « Je leur ai dit que je souhaitais que les débats dans l’assemblée soient le plus propre possible. Je ne supporte pas les invectives. Lorsque nous sommes ici, nous devons être à la hauteur des attentes des Auvergnats et Rhônalpins et ne pas nous mettre sur la tronche toute la journée. »
Si la posture initiale séduit, le nouveau chef de l’exécutif sera bientôt attendu sur des sujets plus épineux dans les prochains mois (investissement dans les lycées, système ferroviaire, développement de l’offre TER, JO 2030…). « À lui de se faire une place et d’exister politiquement sans être drivé par Laurent Wauquiez depuis Paris, lance le socialiste Johann Cesa. Nous sommes à peine à mi-mandat. Il a donc largement le temps de faire ses preuves et d’imprimer sa patte. » Largement le temps, aussi, de décrasser ses bottes pour les renfiler aux quatre coins du territoire.
L’équilibre entre les métropoles et les zones rurales
« Fabrice est un élu local qui correspond à ce que je veux pour notre région, à savoir l’égal respect entre les grandes métropoles et les petites communes. » En choisissant Fabrice Pannekoucke, maire d’une petite commune de Savoie, pour lui succéder, Laurent Wauquiez place à nouveau l’équité territoriale au centre de ses préoccupations.
« Il faut considérer chacune et chacun dans sa diversité, de la plus petite commune jusqu’à la métropole », renchérit le nouveau président de Région.
De quoi rassurer les élus auvergnats, comme Bruno Faure, président du Département du Cantal : « Nous sommes le département le plus éloigné et aussi le plus petit avec 145 000 habitants, soit pratiquement autant que Villeurbanne. Les enjeux que l’on peut avoir ici sont très différents de ceux du secteur lyonnais. Donc ça nous rassure d’avoir un président avec cette fibre rurale, capable de nous comprendre et qui était d’ailleurs venu nous voir plusieurs fois lorsqu’il était à l’agriculture pour échanger avec la profession. »
Merci d’avoir lu cet article ! Si vous avez un peu de temps, nous aimerions avoir votre avis pour nous améliorer. Pour ce faire, vous pouvez répondre anonymement à ce questionnaire ou nous envoyer un émail à [email protected]. Merci beaucoup !