LE MENSUEL DES POUVOIRS LYONNAIS

Sophie Sidos-Vicat : « Je me suis dit qu’il fallait sortir du bois »

Vice-présidente de la holding familiale du dernier cimentier français Vicat installé
à L’Isle-d’Abeau qui réalise près de 4 milliards d’euros de chiffre d’affaires par an, présidente de la Fondation Louis Vicat, présidente du Medef Isère, Sophie Sidos-Vicat est aussi la première femme à occuper la présidence des conseillers du commerce extérieur de la France. Une vie aux multiples casquettes avec, toujours en ligne de mire, l’attractivité et le rayonnement des entreprises françaises.

Parmi vos multiples casquettes, il y en a une au-dessus des autres : vous êtes, depuis juin 2023, la première femme élue à la présidence nationale des conseillers du commerce extérieur de la France. La féminisation du monde patronal, c’est un combat pour vous ?

Sophie Sidos-Vicat : Oui, c’est un combat parce qu’il n’y a pas assez de femmes qui s’engagent dans les instances patronales. C’est pour cela que j’ai souhaité prendre des responsabilités au sein du réseau des Conseillers du commerce extérieur (CCE) de la France, même si je ne visais pas forcément la présidence au départ, mais plutôt un poste d’administratrice.

Je me suis effectivement rendu compte qu’il y avait beaucoup d’hommes et peu de femmes qui voulaient s’engager pour la présidence de cette belle maison. J’ai donc décidé de lever le doigt et j’ai été élue. Et je ne suis pas déçue : c’est un poste très prenant puisque nous avons 152 comités à travers le monde regroupant 5 000 chefs d’entreprise ou responsables exports dont les trois quarts sont basés à l’étranger. Nous avons aussi dans l’Hexagone des comités régionaux comme celui d’Auvergne-Rhône-Alpes.

Votre mission principale, c’est de participer à la réduction du déficit du commerce extérieur ?

J’aimerais bien oui. Mon premier objectif est de faire connaître les conseillers du commerce extérieur de la France, parce que je suis une femme de réseaux. Je veux donc participer à son développement parce que plus nous serons nombreux, plus on parlera de nous. Cette présidence, pour moi, ce n’est pas simplement un titre sur une carte de visite.

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Cela m’amène à beaucoup me rendre à l’étranger (elle revenait tout juste d’une visite en Ouzbékistan, NDLR) et je rencontre dans tous les pays de très beaux comités composés d’hommes et de femmes qui travaillent dans des entreprises extraordinaires qui participent au rayonnement et à l’attractivité de la France. Nous sommes très fort pour l’innovation en France, mais nous avons souvent du mal à nous exporter à l’international, donc je pense que c’est important de les soutenir, de les pousser et de leur montrer que nous sommes là pour les aider.

Avec quels moyens d’action ?

Nous avons plein de moyens d’action. Par exemple, au Sénégal, nous avons un comité d’une vingtaine de conseillers qui se réunit tous les mois autour de l’ambassadeur pour lui faire part des difficultés rencontrées. Et moi, quand je vais à la rencontre de ces comités, je fais ensuite remonter leurs difficultés directement auprès des ministres de tutelles – le ministre chargé du Commerce extérieur, de l’Économie… – pour essayer de trouver des solutions.

Et les ministres sont à votre écoute ?

Le principe des CCE, c’est que l’on n’étale pas ce que l’on fait dans la presse. Mais oui, nous avons des relations très étroites. Nous faisons des points très réguliers, toutes les semaines. Je leur demande ce qu’ils comptent faire des informations que nous faisons remonter, car il ne faut pas que cela reste de la réunionite, mais que cela redescende ensuite sur le terrain et se transforme en actions concrètes.

« Mon premier objectif est de faire connaître les conseillers du commerce extérieur de la France, parce que je suis une femme de réseaux »

J’ai aussi eu la chance de rencontrer plusieurs fois Emmanuel Macron, qui ne connaissait d’ailleurs pas très bien les CCE. La première fois, il m’a demandé comment il pouvait m’aider, et je lui ai répondu que ce serait bien de recevoir à l’Élysée les 152 présidents de comités. On a donc été reçus en décembre 2023 et nous avons pu lui rendre compte directement pendant une demi-journée de ce qui se passe dans certains pays.

Et vous, en tant que conseillère du commerce extérieur, vous pouvez aider à votre niveau les entreprises à s’exporter ?

Très concrètement, si un chef d’entreprise vient me voir et me dit qu’il veut s’implanter en Turquie, je pourrais lui dire comment ça se passe parce que j’ai deux usines de ciment dans ce pays. C’est très intéressant pour un patron de pouvoir échanger directement avec un autre patron.

On ne compte plus les outils, dispositifs ou multiples plans pour augmenter le nombre d’entreprises exportatrices, et pourtant la situation de la balance commerciale reste critique. Cela veut dire que la France n’a pas la fibre exportatrice ?

C’est une bonne question… C’est vrai que nous avons tendance à développer nos entreprises d’abord en France, puis ensuite à regarder l’international. Alors que je constate l’inverse en Italie par exemple, où un chef d’entreprise va tout de suite regarder comment il peut exporter… donc oui, on peut dire que l’on n’a pas la fibre internationale dans nos gènes, et c’est dommage.

Il y a un important travail à faire pour que cela change, parce que c’est très compliqué de développer une entreprise uniquement en France. Je le vois pour le groupe Vicat qui est présent dans 12 pays différents. Heureusement que nous avons l’international parce que sans ces pays-là, nous n’aurions pas la même rentabilité aujourd’hui.

Le groupe Vicat a justement annoncé, mi-décembre, avoir obtenu une aide de 500 millions de dollars du Department of Energy des États-Unis pour la décarbonation de votre usine de ciment en Californie. C’est la preuve que vous n’êtes pas assez aidés en France ?

Bien sûr que nous ne sommes pas assez aidés… Je vais vous donner un exemple. Moi, j’ai un de mes concurrents qui a obtenu à peu près un milliard d’euros de la part de l’Union européenne pour décarboner… alors qu’il est Suisse. Je ne savais pas que la Suisse était en Europe… Nous, de notre côté, on ne parvient pas à être soutenu par le plan France 2030 qui est notamment dédié à la décarbonation de l’économie.

« Je me déplace très régulièrement dans les 12 pays où Vicat est présent pour rencontrer les collaborateurs »

On développe un projet pour produire du méthanol décarboné à partir du CO2 capturé dans notre usine en Isère, on nous dit que notre projet va sauver la France, nous avons rencontré plusieurs fois Bruno Bonnell (le secrétaire général pour l’investissement de France 2030, NDLR) et je n’ai pas eu de réponse positive jusqu’à présent. On dépose des dossiers tous les ans, ce qui mobilise nos collaborateurs qui ne travaillent pas sur autre chose pendant ce temps, et nous n’avons aucune réponse.

En parlant de Vicat, vous avez intégré le groupe familial en 1992, mais ce n’est pas vous, la descendante de Louis Vicat, qui présidez le groupe mais votre mari, Guy Sidos. Ce n’est pas frustrant parfois de ne pas être PDG de Vicat ?

Ah non, au contraire. Je ne pourrais pas être à ce poste-là vu les responsabilités que j’occupe par ailleurs. Et puis, si je peux me permettre, ce n’est pas forcément une bonne manière de présenter les choses puisque je suis vice-présidente de la holding familiale qui a un pouvoir sur le groupe en ce qui concerne les choix de développement, les investissements, l’international… Mon mari doit donc me rendre des comptes sur l’entreprise, et pour lui, ce n’est pas tous les jours facile de m’avoir comme vice-présidente de la holding familiale parce qu’il passe un peu tous les jours le conseil d’administration à la maison (sourire).

Comment fonctionne votre binôme ?

En toute honnêteté, c’est génial de travailler avec quelqu’un de confiance comme lui. Surtout que je pense que nous sommes très complémentaires. Par exemple, on se déplace très régulièrement dans les 12 pays où Vicat est présent pour rencontrer les collaborateurs.

Moi, je pose beaucoup de questions sur leur vie de famille quand lui s’intéresse plus à la vie de l’usine, et je pense que l’un ne va pas sans l’autre. Vraiment, je suis très reconnaissante du travail qu’il fait parce que je prône le modèle de l’entreprise familiale, et qui mieux que Guy pourrait diriger le groupe aujourd’hui ? Il comprend très vite et très bien et a l’art d’exécuter instantanément les directives dédiées par la holding, donc c’est vraiment génial de travailler avec son mari en entreprise.

À votre avis, c’est justement votre modèle d’entreprise familiale bicentenaire qui fait que vous êtes aujourd’hui le dernier cimentier français quand tous les autres ont été rachetés par des investisseurs étrangers ?

C’est vrai que c’est un peu triste de se dire que Vicat est le dernier cimentier français… Il y a une dizaine d’années, il y en avait peut-être sept ou huit.

« Bien sûr que les entreprises françaises ne sont pas assez aidées »

Aujourd’hui, mes concurrents ne sont pas des « vrais » cimentiers, mais des fonds. Et je pense qu’ils ne portent pas le même intérêt que nous à leurs collaborateurs. Je vous donne un petit exemple : nous avons une de nos filiales, Les Papeteries de Vizille, qui ne va pas très bien et perd régulièrement de l’argent. Les commissaires aux comptes nous conseillent de la vendre. Mais moi, je ne la vendrai jamais, et j’espère que mes enfants feront pareil.

Mon arrière-grand-mère s’est battue pour que cette entreprise existe, je ne pourrai plus me regarder dans un miroir si je la vendais… Tous les collaborateurs de cette entreprise savent que je serai toujours là pour les soutenir. D’ailleurs, nous allons bientôt annoncer un important investissement la concernant.

Devenir le dernier cimentier français a changé le statut du groupe Vicat ?

Pendant très longtemps, la devise de Vicat était « Vivons heureux, vivons cachés », et cela m’allait parfaitement bien. C’est vrai que lorsque mon principal concurrent français (le groupe Lafarge renommé Holcim, NDLR)
est devenu Suisse, je me suis dit, alors, que nous étions les seuls et qu’il fallait sortir du bois pour parler de nous et de nos difficultés.

Et puis, il y a aussi votre casquette de présidente du Medef Isère qui vous donne une prise sur les représentants politiques…

À ce sujet, je vais vous donner un exemple très concret : j’ai invité tous les députés de l’Isère à me rencontrer pour savoir comment ils envisageaient de travailler avec nous. Cela va peut-être vous étonner, mais sur dix députés, il n’y en a que deux qui ont accepté, c’est Yannick Neuder (qui a été nommé ministre de la Santé et de l’Accès aux soins le lendemain de l’entretien, NDLR) et la socialiste Marie-Noëlle Battistel. Je trouve que c’est un peu inquiétant de se dire que 80 % des députés ne sont pas intéressés par l’idée de rencontrer la patronne des patrons de l’Isère. Cela me pose question, mais je reste à leur disposition et j’espère qu’ils vont changer d’avis.

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