Depuis toujours, c’est dans les montagnes qu’il se sent le mieux pour « réfléchir sereinement » quand il s’agit de prendre une décision importante. Alors Yann Roubert s’est offert, début février, une petite escapade en famille dans les Alpes à Méribel, avec une grande randonnée à skis au programme.
Avant d’officialiser son choix, pour de bon, deux jours plus tard : président du Lou Rugby depuis 12 ans, il se lance à l’assaut de la présidence de la Ligue nationale de rugby (LNR). « À la base de cette candidature, il y a les sollicitations d’autres présidents de clubs du Top 14 et de Pro D2 pour que je me présente. Cela m’a à la fois touché, honoré et titillé pour y aller », raconte Yann Roubert, qui sera donc opposé, le 13 mars, à un menhir du rugby français : l’actuel président de la LNR, René Bouscatel, 78 ans dont 25 à la présidence du Stade Toulousain (1992-2017).
Et lorsque nous l’avons rencontré mi-février, Yann Roubert – souvent présenté dans la presse comme l’outsider – promettait croire dur comme fer en ses chances. « Il y a match, clairement. Et d’après les échos que j’ai, la dynamique est même plutôt de mon côté », affirme le candidat de 47 ans qui place le renouvellement de génération à la tête de la LNR au cœur de sa démarche.
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Yann Roubert, plus jeune président d’un club du Top 14
« Je ne propose pas une rupture par rapport à ce qu’a fait René ces quatre dernières années. J’ai du respect et de l’amitié pour lui, mais je veux apporter mon expérience, mon énergie et mon ambition pour renforcer l’action de la Ligue nationale de rugby. Et je trouve légitime que les présidents de clubs aient le choix de porter à la présidence une personnalité dans ses meilleures années professionnelles », détaille Yann Roubert, qui connaît déjà très bien la maison pour être vice-président depuis 2016, en charge de l’international lors du dernier mandat.
Plus jeune président d’un club du Top 14, il deviendrait, s’il était élu, le plus jeune président de l’histoire de la puissante LNR. Avec, au cœur de son programme, les questions des droits télé, du salary cap ou encore de la visibilité à l’international du Top 14, souvent présenté comme le meilleur championnat du monde.
Parmi ses soutiens, le Lyonnais peut notamment compter sur son homologue Philippe Tayeb, l’influent président de l’Aviron Bayonnais : « Je fais partie de ceux qui ont sollicité Yann pour qu’il soit candidat à la présidence de la LRN. Il est cultivé et intelligent, en plus d’avoir ce côté médiateur, fédérateur et suffisamment politique pour gérer les ego de tous les présidents des clubs. Yann Roubert a beaucoup d’atouts pour exercer la fonction », applaudit-il.
« La décision n’a pas été facile à prendre »
Une élection à la tête de l’instance dirigeante du rugby professionnel qui s’accompagnerait, automatiquement, d’une démission de la présidence du Lou Rugby. « C’est pour cela qu’il m’a fallu un long cheminement et que la décision n’a pas été facile à prendre. Cela représenterait pour moi un changement de vie et j’aurais évidemment un gros pincement au cœur de quitter le Lou si j’étais élu. C’est dur de mettre fin à cette aventure, c’est ce qui m’a fait hésiter », expose Yann Roubert.
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Le Stéphanois de naissance (« c’est pour cela que je parle toujours de rugby et jamais de foot », rigole-t-il) avait été intronisé à l’hiver 2012 par Olivier Ginon qui venait de pousser vers la sortie l’ancien président, Yvan Patet. Le club était alors en Pro D2 après avoir goûté l’année précédente au Top 14 puis de faire l’ascenseur. Pour lancer une nouvelle dynamique, le patron de GL Events choisit alors un homme qui est à la fois un intime et un inconnu total dans le monde du rugby.
Le monde de l’Ovalie compte beaucoup d’anciens pros dans ses instances, mais Yann Roubert n’est pas de ceux-là, tout juste joueur amateur pendant ses années universitaires où il jouait sur les ailes. Marié à une cousine d’Olivier Ginon, Yann Roubert, qui a en revanche pratiqué l’alpinisme à haut niveau (une trentaine de sommets à plus de 5 000 mètres à son actif aux quatre coins du monde), a connu une première vie professionnelle dans le marketing sportif chez les opérateurs Bouygues puis SFR.
« À la base de cette candidature, il y a les sollicitations d’autres présidents de clubs pour que je me présente »
Avant d’entrer chez GL Events en 2009, un peu par hasard. « Mon épouse Diane travaillait à l’époque dans l’immobilier, et elle a eu une opportunité de travail à Dubaï. On en parlait un jour avec Olivier lors d’un dîner de famille, et il m’a dit : “très bien, dans ce cas viens t’occuper de GL Events au Moyen-Orient”. Et comme le sport est mon secteur de prédilection, il m’a également confié la direction de la division Sports de l’ensemble du groupe ».
D’où la connexion avec le Lou Rugby que Yann Roubert suivait d’un œil depuis Dubaï. Et un choix finalement pas très étonnant de la part d’Olivier Ginon, propriétaire du Lou depuis 2007, dont de nombreux membres de la famille sont placés à des postes stratégiques chez GL Events.
Lorsque Yann Roubert reçoit la demande de revenir à Lyon pour être le nouveau visage du Lou, le club moribond vient d’être relégué et joue devant moins de 3 000 personnes au petit stade Vuillermet de Vénissieux. « Mais j’étais convaincu du potentiel de développement du club », rejoue Yann Roubert.
Le Michel Drucker du rugby
Et, effectivement, le Lou d’aujourd’hui n’a pas grand-chose à voir avec le Lou de l’époque : le club est solidement installé en Top 14, joue devant 18 000 spectateurs en moyenne à Gerland, a remporté la petite coupe d’Europe du Challenge Cup en 2022, et développé tout un écosystème lucratif autour du stade avec hôtel, immeubles de bureaux et pôle Santé.
Un réaménagement autour du Matmut Stadium dont la touche finale a été portée l’été dernier avec l’inauguration de la nouvelle piscine de Gerland, rebaptisée Lou Piscine. « Le club est sur de bons rails, avec un avenir qui s’annonce radieux. Il est peut-être temps pour moi de passer le témoin… La présidence de la LNR me permettrait d’engager un nouveau cycle, tout en restant dans le monde du rugby que j’adore. Parce que dans ce sport, les mecs bien sont la norme et les connards une exception », assure Yann Roubert, qui cache donc à moitié se sentir en fin de cycle.
Et dont le mandat à la présidence du Lou Rugby est applaudi par Guy Mathiolon, un actionnaire historique du Lou Rugby : « Yann a incontestablement mis sa pierre à l’édifice et fait du bon travail. Surtout que ce n’est pas un poste simple tous les jours entre la pression du public qui veut des résultats et celle de l’actionnaire qui veut que ça ne lui coûte pas trop cher. Nous avons parlé ensemble de sa candidature à la Ligue, et je l’ai poussé à y aller après 12 ans à la présidence du Lou. C’est un poste prestigieux et il a un réseau incroyable. C’est le bon moment pour lui », rapporte le chef d’entreprise, dépeignant un homme « humble, sain et simple ».
« Le club est sur de bons rails. Il est peut-être temps pour moi de passer le témoin »
Yann Roubert est un habitué des réseaux patronaux lyonnais (il est notamment membre du Prisme, du Cercle Féal et des Stéphanois de Lyon) et une réflexion revient souvent pour décrire Yann Roubert : « C’est un mec sympa ». « On ne s’engueule pas avec Yann, c’est impossible. Il ne fait jamais de vagues, et a la gentillesse de l’éternel gendre idéal… Absolument personne ne peut se plaindre de lui, c’est le Michel Drucker du rugby », siffle un observateur avec une pointe d’ironie. Le directeur général de l’OL, Laurent Prud’homme, se dit en tout cas « ravi que Yann se lance dans cette aventure ».
Les deux dirigeants se connaissent – et s’apprécient – depuis plusieurs années. Laurent Prud’homme travaillait pour Eurosport, alors diffuseur de la Pro D2, lorsque Yann Roubert a été nommé président. « J’ai suivi l’ascension de Yann et du Lou. C’est incroyable ce qu’il a réussi à faire depuis 12 ans. Je suis aussi à la tête d’un club aujourd’hui, je me rends compte à quel point c’est compliqué. Il a réussi parce qu’il a des talents de manager et qu’il a su marketer son produit. Un match du Lou, c’est un événement avec un avant, un pendant et un après quand tout le monde se retrouve sur le parvis. La Ligue est une suite logique pour lui. »
Un choix de carrière également soutenu par son ami de longue date Stephan Blanchet, le patron des Puces du Canal de Villeurbanne : « Il aurait pu rester sereinement à son poste, mais il a préféré se lancer dans un nouveau défi. Yann est quelqu’un de fin, combatif, déterminé, observateur… J’espère qu’il va réussir ! », appuie-t-il.
Des soirées « magiques ou abominables »
Et en cas de défaite ? « Je reste à la présidence du Lou », pose Yann Roubert avec aplomb. Même si son discours peut faire douter qu’il poursuive sa mission au Lou, comme si de rien n’était, au cas où les choses tournent mal à la Ligue. « Surtout qu’Olivier Ginon pourrait lui aussi trouver que c’est le bon moment pour changer les choses au Lou, pointe un fin connaisseur du club. Parce que Yann Roubert a fait de bonnes choses, mais tout n’est pas parfait non plus. »
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Et c’est vrai que l’après Pierre Mignoni a été raté au poste d’entraîneur principal avec la nomination de Xavier Garbajosa, limogé seulement un an plus tard puis remplacé depuis quelques mois par Karim Ghezal. Troisième budget de l’Élite (35 millions d’euros), le Lou connaît aussi une saison contrastée dans le ventre mou du Top 14. Et, plus globalement, on a l’impression que le Lou, malgré ses importants moyens et ses grandes ambitions, peine à passer au stade supérieur et à se placer comme un prétendant crédible au Bouclier de Brennus.
« On a bien avancé, mais tant que l’on n’est pas champion de France, on peut faire mieux. Il y a encore un beau chemin à faire », analyse Yann Roubert, qui raconte des soirées « magiques ou abominables » en fonction du résultat : « Ça ne devrait pas, ce n’est que du rugby… Mais c’est vrai que je suis soit le plus heureux, soit le plus malheureux des hommes après un match », raconte-t-il. Son potentiel futur job dans les bureaux parisiens de la Ligue serait évidemment très différent. Mais Yann Roubert voit là « un nouveau défi très stimulant intellectuellement ».
Loin de la retraite et sans fortune
Et le big boss, Olivier Ginon, il en pense quoi de cette ambition de Yann Roubert pour la Ligue ? Le communiqué du Lou, signé du 4 février, était d’une extrême fraîcheur : en quelques lignes, le club indiquait « prendre acte de cette décision personnelle », ne manquait pas de rappeler qu’en cas de victoire « il sera automatiquement démissionnaire de toutes ses fonctions », avant de souhaiter « bonne chance à Yann Roubert pour cette candidature qui répond à des aspirations personnelles ».
Il faut dire que tout ça ne tombe pas au meilleur des moments pour Olivier Ginon, en train de finaliser la concession du Stade de France, le théâtre des grands événements du rugby français, dont la grande finale du Top 14. Difficile, dans ce contexte, de soutenir ouvertement l’un de ses proches collaborateurs pour présidence de la Ligue, au risque de faire naître des suspicions.
« Ma relation avec Olivier Ginon a toujours été forte et basée sur la confiance. C’est un actionnaire qui donne une impulsion sans être interventionniste. Nous avons évidemment discuté ensemble de ma candidature et j’espère bien que les au revoir seront plus chaleureux si je devais quitter le Lou », assure Yann Roubert, qui dit avoir reçu « énormément de messages d’encouragement » de la part de proches du club à l’officialisation de sa candidature.
Le promoteur immobilier et proche du club Nicolas Gagneux est de ceux-là : « Yann, c’est vraiment un bon mec. On fait un peu de vélo ensemble, et il a toujours le sourire. Il véhicule une sorte de positive attitude. C’est aussi quelqu’un qui a de l’ambition et la présidence de la Ligue, c’est un vrai challenge. Je trouve donc que c’est très bien pour lui ! » Reste tout de même un détail qui a son importance.
La présidence de la Ligue est un poste jusqu’à maintenant bénévole, et Yann Roubert, « loin de la retraite et sans fortune personnelle » va réclamer, s’il est élu, un changement des statuts pour être un président rémunéré. Une enveloppe de 250 000 euros par an a été évoquée dans la presse, et cela a fait des remous auprès de présidents de clubs qui rechigneraient à mettre au pot. Yann Roubert a déjà trouvé la parade : dans ce cas, il occuperait la présidence bénévole de la Ligue, couplée à un autre job, rémunéré celui-ci.
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