LE MENSUEL DES POUVOIRS LYONNAIS

Johanna Benedetti : « De nouveaux challenges à relever pour garder une Presqu’île animée »

Fondatrice de la marque Les Poupées, installée depuis 2009 au bas des Pentes de la Croix-Rousse, Johanna Benedetti a pris la suite d’Olivier Michel à la présidence de l’association My Presqu’île au printemps 2024. Un challenge de taille alors que la future transformation de la Presqu’île, portée par les élus écologistes de la Ville et de la Métropole, suscite beaucoup d’incertitudes chez les commerçants et cristallise les tensions. Propos recueillis par Maxime Feuillet et Jean-Pierre Vacher

Vous avez été élue à la tête de My Presqu’île en mars dernier, en prenant la suite d’Olivier Michel qui s’est retiré après deux mandats à la tête de l’association de commerçants. Comment cette transition s’est-elle préparée ?

Johanna Benedetti : Le passage de témoin a été bien préparé. J’étais vice-présidente de l’association depuis deux ans aux côtés d’Olivier Michel, et il avait été convenu que je prenne sa suite. Par conséquent, j’ai suivi très attentivement les grands projets de transformation ces deux dernières années. J’ai pris part aux comités de suivi sur le projet Presqu’île à vivre, et j’ai travaillé sur le dossier de la piétonnisation des centres-villes et la mise en place des zones à trafic limité (ZTL).

L’association My Presqu’île a été créée en 2006, au service du dynamisme commercial et économique du centre-ville. Qu’est-ce qu’elle pèse aujourd’hui ?

L’association compte environ 650 adhérents, du bas des Pentes jusqu’à Perrache. À l’origine, nous étions une simple association de commerçants, à laquelle nous avons rajouté, il y a une quinzaine d’années, la mission de management du centre-ville.

On a donc une double casquette puisque nous représentons les commerçants des 1er et 2e arrondissements, et portons en même temps certains sujets auprès des équipes municipales. Nous avons des adhérents privés (commerçants, artisans, entreprises) qui paient chaque année leur cotisation, et des partenaires publics comme la Ville, la Métropole, la CCI ou la CMA, qui nous financent à hauteur de 30 %.

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Les débats autour de l’avenir de la Presqu’île suscitent beaucoup de doutes et d’interrogations chez les Lyonnais et les commerçants. Qu’est-ce qui vous a donné envie de relever ce challenge à la présidence de MyPresqu’ile ?

Pour être un challenge, c’est un vrai challenge ! (rires) Il y a plusieurs années de cela, je suis devenue la présidente de Carré Romarin, une petite association de commerçants dans les Pentes, créée sous l’impulsion de Gérard Collomb. Il avait mis en place des grands projets de transformation pour ce quartier où ma boutique est installée depuis 2009, et il cherchait quelqu’un pour prendre le lead sur ces sujets d’aménagement.

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La présidence de My Presqu’île s’inscrit donc pour moi dans la continuité de cet engagement. J’ai envie d’apporter ma pierre à l’édifice pour accompagner au mieux les grands bouleversements de notre territoire. Et faire en sorte que le commerçant se sente plus en confiance face à ces transformations.

Les commerçants sont nombreux à être échaudés par le projet Presqu’île à vivre, chantier à plus de 15 millions d’euros porté par les élus écologistes de la Ville et de la Métropole. Quel regard vous portez sur cette transformation de la Presqu’île ?

La piétonnisation et la mise en place des zones à trafic limité sont des projets qui vont dans le sens de l’histoire des centres-villes. Mais ces projets arrivent et interviennent dans une période difficile économiquement pour le commerce. La tension se cristallise donc autour de ces projets, notamment parce qu’il est très difficile de mesurer les impacts qu’ils auront sur l’activité.

« Ces projets de transformation de la Presqu’île interviennent dans une période difficile pour le commerce »

On a très peu de recul. On a du recul sur les rues piétonnes, on sait ce qu’il s’y passe. Mais les mises en place de zones à trafic limité sont plus récentes, donc il y a forcément plus d’interrogations et d’inquiétude. On comprend cette inquiétude et on travaille à trouver des solutions pour rassurer les commerçants et les consommateurs qui pourraient venir en Presqu’île.

La zone à trafic limité doit entrer en vigueur en juin prochain entre Hôtel-de-Ville et Bellecour. Comment avez-vous été associée aux discussions ?

On a participé à la concertation lancée il y a deux ans, comme tout citoyen lambda. On a fait tout un travail de recherche en amont. Je suis allée par exemple à la rencontre de plusieurs présidents d’association de centre-ville en France, comme à Rennes où la mise en place d’une ZTL est déjà effective.

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On a fourni des notes aux collectivités sur lesquelles elles se sont appuyées pour mettre en place le projet. Notre rôle désormais sera de faire remonter les difficultés et points de blocage, pour permettre aux collectivités de trouver d’autres solutions.

Vous étiez présente aux côtés du collectif des Défenseurs de Lyon – dans lequel on retrouve de nombreux adhérents ou membres du bureau de My Presqu’île – lors d’un rassemblement rue Grenette en juin dernier. Un collectif farouchement opposé à l’action des écologistes. Vous vous inscrivez sur la même ligne ?

J’ai pris la parole ce jour-là pour rappeler à quel point il est important d’associer les commerçants et activités économiques dans la mise en place de ces nouveaux projets. Parce qu’il y aura forcément un impact. Je ne suis pas porte-parole de ce collectif, mais nous avons de nombreux adhérents dans ce mouvement, donc ma présence était logique à la naissance de ce collectif.

De nombreux commerçants ont pourtant décidé de s’unir en mai dernier, notamment derrière Jean-Paul Pignol, parce qu’ils estiment « ne plus se sentir représentés par My Presqu’île ». Que leur répondez-vous ?

Je leur dis que c’est dommage. À mon sens, il faut se retrouver sur ce qui nous rassemble. On a tous envie d’avoir une Presqu’île attractive avec du monde dans les rues et des clients heureux. Le socle de notre structure, c’est d’agir pour maintenir l’attractivité de ce territoire. Dire qu’on est contre tel ou tel projet, je peux le comprendre.

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Ce sont les positions de chacun, et il y a autant de positions différentes qu’il y a d’individus. Mais notre rôle n’est pas d’être dans des postures politiques contre ces projets. On doit faire en sorte d’avancer, en veillant à ce que le commerce soit le moins impacté, mais aussi qu’il arrive à se transformer et à s’adapter à ces nouveaux enjeux. Il faut aussi comprendre qu’une bonne partie de nos clients ont envie de venir dans un centre-ville plus calme et avec moins de voitures.

Vous composez donc avec des adhérents privés et des partenaires publics qui n’ont pas forcément la même vision ni les mêmes préoccupations. Comment se passe la vie au quotidien entre toutes ces composantes ?

Ce n’est pas toujours facile. Il faut arriver à se comprendre. Savoir dire aux commerçants qu’on ne peut pas influer sur telle ou telle chose, et à l’inverse aller voir les élus pour leur dire qu’il peut y avoir des choses à améliorer et des ajustements nécessaires à faire.

On a parfois des commerçants en colère ou des élus qui ne sont pas contents, mais l’idée c’est de maintenir le lien pour faire en sorte que l’activité économique continue de fonctionner dans la ville.

Comment qualifieriez-vous les relations que vous entretenez aujourd’hui avec les élus écologistes ? Vous vous sentez écoutés et entendus ?

Elles sont plutôt bonnes, même si je n’ai, parfois, pas le rôle le plus agréable. On continue de faire passer des notes dans chaque comité de suivi. On exprime nos interrogations, nos points d’alerte pour arriver à terme au compromis.

Doucet Benedetti Presqu'île
Grégory Doucet avec Johanna Benedetti, la présidente de My Presqu’île © Yordan La Mouche

De nombreuses voix, et notamment celle de Jean-Michel Aulas, s’élèvent pour dénoncer les embouteillages monstres provoqués par des chantiers le long des quais du Rhône. On imagine que ça ne joue pas en faveur de l’attractivité de la Presqu’île. C’est un sujet que vous évoquez avec les pouvoirs politiques ?

Oui, bien sûr. Nous avons tiré la sonnette d’alarme lorsqu’on a reçu le planning de ces travaux en disant qu’à notre avis, ça risquait de faire beaucoup pour une seule et même agglomération. Ce sont des éléments qui ont été pris en compte puisque la municipalité et la Métropole ont annoncé qu’elles allaient temporiser et renoncer à un certain nombre de ces travaux d’aménagement.

Ils ont senti qu’il y avait une forme de saturation. Les points de blocage se sont multipliés, c’est une réalité. C’est difficile d’accéder au centre-ville aujourd’hui. J’espère qu’on retrouvera un meilleur niveau de fluidité une fois ces travaux terminés.

Aujourd’hui, près de cinq ans après la crise sanitaire et les confinements, mais aussi les gilets jaunes, les manifs contre la réforme des retraites, les émeutes de juin 2023, dans quel état de santé se trouvent vos adhérents ?

Les résultats de la fin d’année 2024 ne sont pas très encourageants. Les chiffres ne sont pas forcément très bons mais s’expliquent aussi par un contexte national difficile à appréhender. Ce qui se passe au niveau national a toujours un impact sur les activités économiques.

« Les points de blocage se sont multipliés, c’est une réalité. C’est difficile d’accéder au centre-ville aujourd’hui »

Les clients sont plus méfiants et consomment moins. Il n’y a jamais eu autant d’épargne en France, donc forcément, le mois de décembre n’était pas terrible et le début des soldes est un peu timide. Donc on sent comme une forme de déprime chez certains commerçants aujourd’hui.

On a beaucoup parlé de la disparition de boutiques indépendantes emblématiques de la Presqu’île, remplacées par des chaînes ou des multinationales. Est-ce révélateur d’un mal plus profond autour des commerces de la Presqu’île ?

Il est nécessaire de prendre de la hauteur sur ce sujet-là. La Presqu’île n’est pas la seule à être impactée par ce phénomène. Tous les centres-villes des métropoles et grandes villes françaises sont touchés. Les modes de consommation et de déplacement ont été chamboulés. Avec le télétravail, les gens se déplacent moins et ont moins envie de se déplacer.

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Il y a donc de nouveaux challenges à relever pour garder une Presqu’île animée. On observe aussi un renouvellement des commerçants en centre-ville. Il y a des jeunes ou des gens en reconversion qui arrivent avec une nouvelle dynamique. L’enjeu désormais, c’est surtout de maintenir du commerce indépendant, avec de la richesse et de la diversité.

Quel regard portez-vous donc sur la prolifération des enseignes de fast-food (McDonald’s, Quick, KFC, Starbucks, Prêt à Manger…) dans la rue de la République ?

Je ne peux pas me réjouir de voir la multiplication de ces enseignes de street food. Mais c’est un phénomène global que vous retrouvez dans n’importe quelle ville européenne. C’est une réalité sur laquelle il est très difficile d’avoir la main. Mais il ne faut pas définir la Presqu’île en se basant uniquement sur la rue de la République.

On a une carte à jouer en mettant en lumière toutes les petites rues autour de cet axe principal. C’est là que vous trouvez des commerces indépendants et des petites enseignes. C’est cette diversité qu’il faut mettre en lumière, davantage que la rue de la République, qui s’est beaucoup transformée depuis une quinzaine d’années.

Les difficultés de la Presqu’île s’expliquent-elles aussi par le développement de grands centres commerciaux comme Westfield La Part-Dieu ou The Village ?

Bien sûr. La zone de chalandise de la Presqu’île s’est considérablement réduite, notamment au sud-est de Lyon où une bonne partie du gâteau a été aspirée depuis cinq ans par The Village à Villefontaine (Isère). The Village et le centre commercial de la Part-Dieu sont des pôles très importants, mais la Presqu’île reste encore le premier pôle commercial de Lyon et la région en termes de chiffre d’affaires. Pourtant tout converge vers la Part-Dieu : les trains, le métro, les trams, les bus…

Donc il y a un vrai levier sur la qualité de l’offre de transports en commun pour la Presqu’île. Personne ne va à la Part-Dieu en voiture aujourd’hui, pourtant ce centre commercial se développe d’année en année et parvient à grappiller des parts de marché. À nous, donc, de réclamer la même qualité de desserte en Presqu’île qu’à la Part-Dieu.

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BIO EXPRESS

1982 : Naissance.
2009 : Création de sa marque Les Poupées et ouverture de la boutique rue Romarin.
2022-2024 : Vice-présidente de l’association My Presqu’île.
Depuis mars 2024 : Présidente de My Presqu’île.

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