RATP Dev est le nouvel opérateur des métros et des tramways lyonnais depuis le 1er janvier 2025. Comment vous êtes-vous préparé en coulisses à reprendre cette exploitation ?
Arnaud Legrand : La période qui séparait le résultat de l’appel d’offres du démarrage officiel du contrat s’est étendue sur neuf mois, de mars à décembre. Nous avons donc eu le temps de faire un gros travail d’anticipation et de projection pour préparer au mieux le lancement de la société RATP Dev Lyon, le 1er janvier dernier.
L’enjeu principal était d’assurer la continuité du service et de faire en sorte que cette bascule, d’un opérateur vers un autre, soit totalement transparente pour les usagers. La bascule s’est faite le 1er janvier à 3 h du matin, et les usagers ne se sont rendu compte de rien sur les heures et les jours qui ont suivi. Ce qui veut dire que nous avons parfaitement réussi cette continuité de service.
Pendant ces neuf mois de tuilage, vous avez donc travaillé avec Keolis, votre concurrent principal qui était aussi l’exploitant sortant de l’ensemble du réseau TCL. Comment cela s’est-il passé ?
On ne se connaissait pas. Il a donc fallu y aller pas à pas, étape par étape. On a appris à mieux se connaître, à travailler ensemble. Tout le monde a compris que la compétition était terminée et qu’il fallait maintenant passer à une autre phase. Keolis est l’opérateur sortant mais il garde encore l’exploitation des bus et trolleybus.
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« Par sa dimension et ses perspectives, le contrat lyonnais nous fait entrer dans un nouveau cercle en France »
C’est une donnée majeure puisqu’on travaille ensemble sur l’exploitation ou la maintenance de l’ensemble du réseau TCL. Il était donc important de bien commencer cette relation et de laisser derrière nous les aspects concurrentiels entre nos deux groupes.
Cette concurrence continue à l’échelle nationale ou internationale, mais elle est bien terminée ici, à Lyon. Un peu comme si des joueurs de Lyon et Saint-Étienne s’affrontaient en championnat, mais jouaient ensemble en équipe nationale le week-end d’après. Ils s’opposent dans un premier temps, puis unissent leurs forces ensuite.
Qu’est-ce qui différencie une offre RATP Dev d’une offre Keolis sur l’exploitation d’un tel réseau ?
Je n’ai pas vu l’offre Keolis donc j’aurais du mal à répondre. Je pense que ça s’est joué à très peu de choses et que les différences sont minimes. Notre expertise dans la modernisation de réseaux vieillissants en France et dans le monde a certainement joué en notre faveur.
Nous avons des réalisations concluantes dans ce domaine. Les lignes 1, 4 ou 14 du métro parisien ont été automatisées ou réautomatisées sans interruption ou perturbation majeure. C’est évidemment quelque chose de très important puisque ça rejoint les aspirations de Sytral Mobilités pour les dix années à venir, dans la lignée de l’automatisation de la ligne B.
Ce découpage du marché des transports en deux lots (métros-tramways pour RATP Dev, bus-trolleybus pour Keolis) est une grande nouveauté à Lyon. Comment gérez-vous les cas de figure compliqués comme les pannes de métro et la mise en place de bus relais ?
C’est une nouveauté à Lyon, mais à l’étranger, il arrive fréquemment que des autorités organisatrices, comme le Sytral, fassent travailler plusieurs opérateurs sur un même territoire. Lorsqu’il y a des « situations inopinées », comme on les appelle, donc des pannes ou des arrêts du métro ou du tramway, on suit différents plans d’action, avec plusieurs scenari qui sont écrits à l’avance.
En fonction de la situation, on déclenche ces différents scenari pour couvrir la partie qui n’est pas opérationnelle.
Donc en cas de panne, vous téléphonez à Keolis pour leur dire que vous avez besoin de bus relais sur tel ou tel tronçon ?
Quand un incident arrive, il y a d’abord un temps de 15 à 20 minutes pendant lequel on prend la dimension de la situation. On regarde s’il faut renvoyer les usagers en surface ou si on peut repartir dans quelques minutes. On déclenche ensuite une préalerte auprès de l’opérateur bus pour lui dire qu’on va avoir besoin de mettre en place tel ou tel plan d’action prédéfini.
« La confiance, cela passe par le contact, la rencontre et les actes »
Et lui s’organise de son côté pour réorienter des bus et des conducteurs vers la zone de l’incident. Il va donc prélever un bus d’une ligne X, un bus d’une ligne Y, un bus du dépôt et ainsi de suite, pour constituer une nouvelle ligne qui va opérer jusqu’à la résolution de l’incident.
Parmi les autres sujets importants, il y a aussi la question des mobilités internes comme dans le cas d’un chauffeur de bus qui souhaiterait passer vers le métro. Comment vous gérez cette problématique ?
Pour rassurer les collaborateurs sur leur avenir et ne pas leur faire perdre de droits ou d’acquis sociaux, Sytral Mobilités a introduit dès la mise en place de l’appel d’offres un socle social. C’est une protection très forte et inédite pour les salariés.
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Les opérateurs choisis doivent le maintenir et ne pas le dégrader, ce qui serait une clause de fin de contrat. Le Sytral a développé en parallèle une bourse de l’emploi qui permet des passerelles professionnelles entre les différents modes, avec la compensation pendant deux années des coûts engendrés par la mobilité d’un salarié d’un opérateur vers un autre.
Ensuite, ce sera à nous, les deux opérateurs, de prendre le relais sur cet aspect financier. Mais on continuera évidemment cette passerelle qui est cruciale pour nos métiers et qui offre des perspectives.
Le groupe RATP arrive à Lyon avec l’image d’un groupe très parisien, même s’il est présent dans une quinzaine de pays à travers RATP Dev. Vous sentez-vous pleinement lyonnais et inséré dans la vie lyonnaise aujourd’hui ?
Notre maison mère, la RATP est parisienne par nature et par histoire, mais RATP Dev est une entreprise internationale qui opère dans 16 pays. On ne se sent pas du tout parisien. Et même si on nous colle souvent cette étiquette, nous ne sommes pas parisiens.
J’ai vécu sur trois continents, je n’ai pas du tout cette identité parisienne très forte en moi. Je suis installé à Lyon avec ma famille depuis deux ans et demi. On souhaitait s’enraciner et s’inscrire dans la durée ici, et ce, bien avant le résultat de l’appel d’offres.
« La priorité, c’était d’assurer la continuité de service, et les usagers ne se sont rendu compte de rien »
Donc oui, je me sens bien à Lyon et je me sens lyonnais. Les équipes sont aussi très lyonnaises. Dans les équipes dirigeantes, nous avons des gens d’ici, de Paris ou d’ailleurs dans le monde. On a recruté des profils qui ont travaillé dans des configurations et contextes contractuels similaires à ce qu’on vit aujourd’hui à Lyon avec le Sytral.
Comment travaillez-vous au quotidien ?
Nous avons monté une équipe de direction d’une vingtaine de personnes, et nous comptons près de 1 600 collaborateurs dans l’entreprise aujourd’hui. Les premières semaines ont évidemment été très orientées terrain.
C’était très important puisque c’était l’occasion de rencontrer nos collaborateurs pour la première fois. On a fait des cérémonies de vœux sur chacun des sites, donc je peux vous dire que j’ai mangé beaucoup de galettes des Rois en janvier (rires) ! On voulait tout de suite établir cette relation de confiance entre les salariés et le nouvel employeur. Et la confiance, ça passe par le contact, la rencontre et les actes.
Quelles sont justement les grandes priorités que se fixe RATP Dev pour ces dix années de contrat ?
La première des priorités, c’était d’assurer la continuité de service. Faire en sorte que le service soit totalement le même pour l’usager, et que le changement d’opérateur soit invisible. Cet objectif a été atteint. On voulait aussi que cette bascule soit la plus transparente possible pour nos salariés.
1 600 collaborateurs sont passés d’un employeur à un autre, il ne fallait pas que ce soit perturbant pour eux. Et là aussi, tout s’est très bien passé. Les autres enjeux sont plus contractuels. Nous voulons augmenter notre qualité de service pour atteindre les niveaux attendus dans le contrat, qui sont plus exigeants que ceux du contrat précédent.
On veut trouver grâce à nos équipes les recettes pour améliorer la ponctualité, la régularité et la disponibilité du système. Et puis nous avons des enjeux propres à l’expérience client, l’information des voyageurs ou la sécurisation de l’ensemble du réseau.
Où en est-on aujourd’hui sur la question de la sécurité ? On se souvient d’exemples de chauffeurs attaqués sur le réseau ces dernières années…
Pour avoir voyagé et pratiqué plusieurs réseaux dans le monde, je peux vous dire que le niveau de sûreté-sécurité à Lyon est plutôt bon. La situation n’est pas alarmante ni dramatique. On doit encore l’améliorer cependant.
Et c’est pour cela qu’on engage des moyens supplémentaires avec un renforcement des contrôles, une présence accrue sur le terrain et des caméras vidéo encore plus performantes pour envoyer un message à toute personne qui voudrait commettre des actes délictueux sur le réseau.
Qu’est-ce que représente ce contrat des métros et tramways lyonnais pour RATP Dev ?
C’est un marché d’un petit peu plus de 2 milliards sur 10 ans, donc vous arriverez assez facilement à savoir combien ça représente à l’année. C’est un contrat significatif qui pèse environ 20 % de nos activités en France, et 10 % du poids total de l’entreprise.
Mais c’est surtout un contrat qui nous fait rentrer dans un nouveau cercle sur le marché français. Avec ses métros automatiques, sa dimension et ses perspectives de développement, Lyon est comme une marche qui n’avait encore jamais été gravie par RATP Dev jusque là. C’est un contrat qui nous fait rentrer dans le cercle des opérateurs des très grandes villes, hors Île-de-France.
Il a d’ailleurs été dit que Jean Castex, le président du groupe RATP, avait suivi de près le dossier lyonnais et mouillé la chemise à vos côtés pour remporter Lyon. Vous le confirmez ?
Le dossier lyonnais est un dossier important, et Jean Castex, dans son rôle de président, suit l’ensemble des dossiers importants. Donc il s’y est intéressé, évidemment, parce que c’est un contrat assez dimensionnant pour l’ensemble du groupe, mais pas plus ou pas moins que d’autres dossiers majeurs.
Il est d’ailleurs venu à Lyon en décembre puis en janvier, pour rencontrer nos salariés et échanger avec Sytral Mobilités.
Après les métros et tramways, espérez-vous décrocher les bus et trolleybus lors du prochain renouvellement de ce contrat dans six ans ?
Nous sommes dans un marché concurrentiel, donc nous déterminons à chaque fois qu’une opportunité se présente si elle nous intéresse et si on se donne les moyens d’y répondre.
C’est encore un peu tôt pour y penser, nous verrons le moment venu si nous nous positionnons sur cette offre bus. Mais puisque ça fait partie des marchés potentiels qu’on vise, donc il n’y a pas de raison qu’on ne se positionne pas.
RATP Dev Lyon deviendra entreprise à mission à partir de 2026. Qu’est-ce que cela implique ?
C’est un des plans sur lesquels nous avons insisté dans notre approche et dans notre offre. Nous ne voulons pas seulement faire de la mobilité d’un point A à un point B, mais avoir un impact qui va bien au-delà de la simple mobilité.
On veut avoir un impact sur la société, l’environnement, sur les autres acteurs du territoire et de la métropole. Cette conversion en entreprise à mission nous paraissait indispensable pour faire évoluer notre métier.
On veut embarquer l’ensemble des collaborateurs sur cette mission, donc on s’est donné un peu plus d’un an pour consulter les équipes, écrire cette feuille de route ensemble et réaliser cette conversion.
Les prix du Rhônexpress ne baisseront pas
Dans le cadre de l’allotissement, RATP Dev a repris le 1er janvier l’exploitation du Rhônexpress. Si les tarifs sont critiqués (17 euros l’aller simple), Arnaud Legrand confirme que la société ne reviendra pas dessus : « Pour avoir beaucoup voyagé dans le monde, je peux vous dire que ce prix n’est pas du tout hors-marché. De plus, en tant qu’opérateur, nous n’avons ni la vocation ni le pouvoir de dire au Sytral quelle est la politique tarifaire à suivre. Ce n’est pas à nous d’influencer ni dans un sens ni dans l’autre, et on se gardera bien de le faire. »
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