Vous bouclez dans les prochains mois votre quatrième saison à la direction générale et artistique de l’Opéra de Lyon. Comment fait-on pour endosser ce costume ?
Richard Brunel : On arrive à l’endosser parce qu’il y a avant cela tout un parcours d’artiste et de directeur. J’ai d’abord été comédien puis metteur en scène à La Comédie de Saint-Étienne, chanteur à l’Atelier lyrique du Rhin et directeur de La Comédie de Valence pendant dix ans.
Tout au long de ce parcours, ma passion pour l’opéra s’est renforcée au contact de chefs d’orchestre et de chanteurs et chanteuses d’exception. Quand j’ai entendu que la direction de l’Opéra de Lyon se libérait, le poste me paraissait bien trop énorme pour moi. Mais, après mûre réflexion, j’ai compris que je n’avais rien à perdre, et j’ai choisi d’être candidat à la succession de Serge Dorny.
Richard Brunel, vous ne faisiez pas forcément office de favori pour le poste. Comment avez-vous accueilli l’annonce de votre nomination ?
J’étais clairement l’outsider de la shortlist puisque j’étais le seul à ne pas avoir dirigé d’Opéra. Mais je sortais d’une expérience réussie à Valence en matière de dynamique artistique et culturelle. Nous avions développé tout un modèle économique autour d’une pépinière européenne d’artistes.
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C’est une donnée qui a su convaincre le jury, tout comme ma bonne connaissance du réseau artistique sur le plan local, régional, national ou international. J’arrivais avec beaucoup d’audace, et c’est sûrement ce qui a séduit Gérard Collomb, David Kimelfeld, Laurent Wauquiez et le ministre de la Culture de l’époque, Franck Riester.
Est-ce difficile de succéder à Serge Dorny qui a marqué de son empreinte l’Opéra national de Lyon, ne serait-ce qu’en raison de la durée de son bail ?
Le plus dur, c’était surtout de succéder au Covid. La période de transition devait initialement durer un an et demi ; elle a duré trois mois, juste avant le confinement, puis l’Opéra est resté fermé entre mars 2020 et mai 2021. C’était très difficile à gérer.
En ce qui concerne Serge, nous sommes très différents dans nos personnalités et nos modes de management, mais je m’inscris totalement dans le prolongement de ce qu’il a fait, notamment sur les questions d’innovation artistique ou sur le développement d’actions culturelles.
« Avec 360 salariés et 880 intermittents, l’Opéra de Lyon est le premier employeur culturel de la région »
Il a beaucoup innové pour l’Opéra de Lyon. Il a donné des grands axes, le challenge était de savoir comment la génération suivante pouvait continuer dans cette voie, en apportant sa propre touche.
L’identité de l’Opéra de Lyon est très diverse puisque son empreinte artistique est incarnée à la fois par l’orchestre, les chœurs, le ballet, la maîtrise, le Lyon Opéra Studio, mais aussi par tous les métiers de la scène, des décors, accessoires ou costumes. Combien de personnes travaillent à l’Opéra ?
Nous avons 360 salariés permanents et 880 intermittents engagés par saison. L’Opéra de Lyon est ainsi le premier employeur culturel de la région. Ces équipes sont mobilisées sur 147 métiers différents, répartis sur trois grands pôles : artistique, technique et administratif.
Tout l’enjeu consiste à faire travailler ensemble ce large écosystème. C’est ce que j’aime dans ce métier, le travail d’équipe, l’interaction et la dynamique collective.
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Combien de représentations et d’événements sont assurés en moyenne chaque saison ?
Nous avons 400 événements par saison, donc plus d’un lever de rideau par jour. Cela représente environ 218 000 spectateurs chaque année. Les grands titres du répertoire classique sont très demandés, mais on trouve toujours une place à l’Opéra, même à la dernière minute.
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On pense souvent que toutes les places sont prises par des habitués. C’est loin d’être le cas. Ce public de passionnés ne représente que 20 % des entrées, cela veut donc dire qu’il reste 80 % des places.
Notre ambition, c’est que l’Opéra soit le plus ouvert et accessible possible, y compris pour des personnes qui n’y ont jamais mis les pieds ou qui pensent que ce n’est pas un endroit fait pour elles.
On a lu et entendu beaucoup de choses ces dernières années sur le budget de l’Opéra de Lyon et les baisses des subventions versées par la Région ou la Ville de Lyon. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Nous avons un budget d’environ 40 millions d’euros par an. La Ville de Lyon nous accorde 7,5 millions d’euros de subventions et contribue aux salaires des agents de la Ville (techniciens, membres de l’orchestre, chœurs, ballet…) à hauteur de 10 millions d’euros.
« Nous sommes reconnus parmi les grandes maisons lyriques européennes. On dialogue avec Londres, Berlin, Madrid, Stockholm… »
L’État est le deuxième financeur à hauteur de 6,5 millions d’euros, puis vient la Métropole de Lyon à hauteur de 3 millions d’euros et la Région avec 2,5 millions d’euros. Ces subventions sont là pour nous permettre de fixer des tarifs les plus bas possibles pour les spectateurs.
Et nous avons en parallèle une part importante de recettes propres, générées par la billetterie, les coproductions, les tournées et le mécénat qui a considérablement augmenté depuis mon arrivée.
Les baisses de subventions de la Ville et de la Région ont été impactantes, mais ces collectivités ont refait un pas vers l’Opéra en remettant de l’argent sur les salaires ou sur notre projet d’Opéra itinérant.
Plusieurs collectivités locales, à l’image du Département de l’Hérault ou de la Région Pays de la Loire, ont annoncé des coupes drastiques dans leur budget alloué à la culture. C’est une source d’inquiétude pour vous ?
Oui, c’est une réelle source d’inquiétude de voir que des élus choisissent d’enlever 75 % ou 100 % de leur budget à la culture. Il y a des raisons d’être inquiet. Quand les subventions sont réduites, c’est l’ensemble des emplois de l’écosystème culturel qui sont fragilisés.
Je pense qu’il faut absolument défendre mordicus la culture. Ce désengagement des élus doit nous pousser à faire corps et résister. Le rôle de l’art et de la culture est fondamental.
C’est ce qui fait notre lien, notre identité commune, ce qui nous permet de côtoyer des personnalités différentes.
On imagine que ce sont des sujets que vous abordez dans vos échanges avec l’État, la Région, la Métropole ou la Ville. Qu’est-ce qu’il en ressort ?
Ce sont des sujets qu’on évoque presque à chaque réunion. Après les différentes baisses de subventions et les difficultés qu’on a connues pendant la réforme des retraites, qui ont causé des annulations et la fermeture de l’Opéra pendant plusieurs semaines en 2023, nous avons réussi à nous rassembler autour du projet avec les collectivités.
Elles se sont engagées sur une convention de quatre années à nos côtés. La Ville, l’État, la Métropole et la Région adhèrent à ce que nous faisons. Les élus viennent d’ailleurs voir les spectacles et discuter avec les artistes et les techniciens, cela me touche beaucoup.
Quelle est aujourd’hui la place de l’Opéra de Lyon sur la scène internationale ?
Nous sommes reconnus comme une des grandes maisons lyriques européennes. On dialogue avec Londres, Berlin, Madrid, Stockholm et d’autres grandes maisons des capitales européennes.
L’Opéra de Lyon est le deuxième de France et nous faisons figure de maison audacieuse. Souvent, nos confrères sont étonnés qu’on ose faire tel ou tel projet. Ils découvrent aussi que notre public est assez jeune puisque 27 % des spectateurs ont moins de 29 ans.
On fait ainsi figure d’Opéra rieur, insolent et joueur, qui sait prendre des risques sur de grands titres.
Cette renommée à l’international passe aussi par les nombreuses coproductions que vous signez avec d’autres institutions à Londres, Bruxelles, Sydney, Abu Dhabi, Hanovre, Bilbao… Comment ces partenariats se mettent-ils en œuvre ?
Ce sont beaucoup d’échanges, de dialogues et d’affinités artistiques avec ces grandes maisons lyriques et chorégraphiques d’Europe et du monde.
Il faut très bien connaître leur fonctionnement et réfléchir aux programmes que nous pouvons leur proposer. Souvent, lorsqu’on annonce qu’on va faire telle ou telle œuvre, j’ai des directeurs qui me disent qu’ils pensaient à la même chose. On fédère alors nos forces autour de cette même œuvre.
Vous allez accueillir, lors de cette saison 2025-2026, de grands artistes lyriques et de gros noms du monde chorégraphique. Quels sont les spectacles à ne pas manquer cette année ?
Tout le monde peut trouver chaussure à son pied dans la programmation. Je vous conseille surtout de choisir ce que vous ne connaissez pas. Si je devais mettre en avant deux spectacles sur l’ensemble des titres lyriques, je dirais sans doute Louise de Gustave Charpentier et Billy Budd de Benjamin Britten.
Vous serez d’ailleurs à la mise en scène de Billy Budd, présenté au printemps 2026. En quoi est-ce essentiel pour vous de garder des activités artistiques dans la mise en scène, votre métier premier ?
Je pense qu’un Opéra se dirige depuis le plateau, depuis ce qu’on y produit artistiquement. C’est très important d’être dans le cœur de l’activité, en lien avec les équipes du plateau, les musiciens de l’orchestre, les artistes du chœur…
C’est comme cela qu’on arrive à bien mieux comprendre une maison pareille. Et puis, c’est très important pour moi de travailler ponctuellement sur une mise en scène, et de ne pas être le directeur général qui enchaîne les rendez-vous dans son bureau.
Je viens de là. C’est la mise en scène qui m’a conduit par la suite à diriger une telle institution culturelle, donc ça fait partie de mon équilibre.
Vous avez lancé en ce début d’année 2025 votre Opéra itinérant, en partenariat avec la Région. Quel est l’objectif d’un tel projet ?
L’idée, c’est d’aller au contact des publics qui sont les plus éloignés de l’Opéra. Des habitants de la région habitent parfois à 2 h 30 de l’Opéra de Lyon. Sachant qu’une représentation dure près de 3 heures, il est quasiment impossible pour eux de venir ici.
Donc, on a choisi d’inventer un projet autour de notre camion-Opéra qui s’installe en itinérance dans plusieurs villages et petites villes de la région, avec son gradin d’une centaine de places et sa scène de six mètres par huit.
« Un Opéra se dirige depuis le plateau. C’est très important d’être dans le cœur de l’activité »
On a choisi de jouer dans ces communes un opéra sur le thème de l’eau et de la fonte des glaciers pour sensibiliser le jeune public. Les retours sont très forts. Les habitants nous disent qu’ils sont très fiers qu’on vienne les voir, qu’ils se sentent considérés et qu’ils ont l’impression d’exister. Certains n’étaient pas venus à l’Opéra de Lyon depuis 30 ans, et ils voient l’Opéra venir à eux. C’est bouleversant.
L’idée, c’est aussi de démocratiser cette scène lyrique et chorégraphique pour sensibiliser d’autres publics ?
Absolument, c’est une mission absolument essentielle. J’essaie de démultiplier les actions pour accroître la présence de l’Opéra sur le territoire. Cela passe notamment par des formats hors les murs, des actions culturelles et éducatives dans les lycées, mais aussi davantage de spectacles pour les ados, les familles.
Je crois très fort à ce dialogue et à cette proximité. À l’échelle métropolitaine, nous avons l’envie, avec le vice-président Cédric Van Styvendael, de rencontrer les adjoints à la Culture de toutes les communes de la Métropole pour voir comment développer un projet sur leurs territoires.
Serge Dorny est resté près de 20 ans à la direction générale et artistique de l’Opéra de Lyon. Vous avez aussi l’objectif de vous inscrire sur du temps long ?
Sur du temps long, oui ; mais je ne pense pas rester 20 ans. Je suis resté 10 ans à La Comédie de Valence, il me faudra peut-être un peu plus de temps pour l’Opéra de Lyon. Je veux permettre à cette belle maison de répondre aux grands enjeux de ce début de XXIe siècle.
Et il y en a beaucoup, notamment autour du bâtiment, sorti de terre en 1993. Trente ans plus tard, on commence à sentir les effets de son vieillissement. Il va falloir réinvestir, mais aussi repenser notre rapport à l’informatique, au numérique, à l’intelligence artificielle. Ce sont des chantiers que je veux conduire avant de passer la main dans quelques années.
L’Opéra de Lyon dans les chambres des HCL
Les patients des 13 hôpitaux des Hospices civils de Lyon peuvent se brancher depuis juin 2024 sur Canal Opéra, la chaîne de l’Opéra de Lyon. « En discutant avec la direction des HCL, j’ai appris que les patients ne pouvaient avoir accès gratuitement qu’à trois chaînes de télévision (BFM, CNews et Gulli) et devaient payer pour avoir les autres. On a donc choisi de développer Canal Opéra, une chaîne gratuite qui diffuse des œuvres d’opéra, du ballet et des concerts, avec une cinquantaine d’heures de programmes par semaine. C’est un projet qui me tient très à cœur. »
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