On peut y voir comme une sorte de baptême du feu. Barbara Falk était à peine installée à la présidence depuis quelques jours, que la Chambre régionale des comptes (CRC Aura) s’est retrouvée à faire la une de l’actualité lyonnaise : c’est l’un des rapports de ses fins limiers sur la communication externe de la Ville de Lyon qui a valu à Grégory Doucet de passer neuf heures en garde à vue à l’hôtel de police de la rue Marius-Berliet, le 9 mars dernier, dans le cadre d’une enquête pour des soupçons de détournement de fonds publics qui remonte jusqu’à l’époque Collomb.
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Avec, au centre du dossier rédigé par la Chambre, la question de la réelle nature des tâches effectuées par une vingtaine de chargés de mission de la Mairie qui auraient, en fait, exercé des missions politiques. « C’est pour cela que la Chambre régionale des comptes existe. Nous ne sommes pas là pour produire des rapports qui calent les armoires », claque Barbara Falk, installée au siège de la Chambre régionale des comptes à la Part-Dieu. « Nous posons des faits, mais nous ne les qualifions pas. Dans le dossier des collaborateurs de la Ville de Lyon, nos magistrats ont détecté des postes qui ne correspondent pas à la réglementation. La Chambre a donc fait un signalement et notre rôle s’arrête là. Ce qu’il se passe après ne nous regarde pas », détaille l’énarque de 45 ans, arrivée il y a trois ans à Lyon comme directrice régionale de la Banque des Territoires.
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Avant, donc, de quitter son bureau de la rue de la Villette pour un transfert d’un kilomètre à peine à vol d’oiseau vers le boulevard Vivier-Merle. Appelée à remplacer au pied levé Bernard Lejeune qui prend du grade, nommé président de la 6e Chambre de la Cour des comptes à Paris. Ce n’est pas toujours l’usage, mais le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, a fait le déplacement pour assister à la séance solennelle d’installation de Barbara Falk, le 12 février.
Un plaisir pour Barbara Falk
« Vous êtes une présidente très jeune et vous êtes là pour longtemps. Vous succédez à un très bon président. La barre est haute. Mais vous avez toute ma confiance. Je compte sur vous. Je n’ai aucun doute sur le fait que vous vous montrerez digne de cet héritage, légué par vos prédécesseurs », a-t-il lancé.
Barbara Falk, elle, ne cache pas son plaisir : « Je sais pourquoi je me lève le matin : le défi intellectuel est permanent à la Chambre régionale des comptes. On apprend des choses tous les jours parce que nous publions des rapports sur des sujets très variés. C’est une fonction dans laquelle on peut s’épanouir », savoure la présidente de la CRC Auvergne-Rhône-Alpes propulsée à la tête de la plus grosse CRC régionale, dotée d’une centaine de collaborateurs (41 magistrats, 39 vérificateurs, 21 personnels administratifs et techniques), qui produit environ 90 rapports d’observation par an.
« La Chambre régionale des comptes n’est pas là pour produire des rapports qui calent les armoires »
Les derniers en date : évaluation de la politique du matériel roulant ferroviaire dans la région, examens de la communication des collectivités territoriales en Auvergne-Rhône-Alpes et de la politique scolaire de la commune de Tarare, contrôles des comptes et de la gestion de la commune de Sathonay-Camp ainsi que de l’Association sportive villeurbannaise Est Lyonnais (ASVEL), étude sur le modèle économique des villes thermales… « Nous utilisons souvent le terme de vigie pour décrire la Chambre régionale des comptes. Il n’y a pas de pouvoir sans contre-pouvoir, c’est pour cela que notre rôle est fondamental pour la démocratie. Nous travaillons à charge et à décharge, et de façon la plus factuelle possible. Une commune ou un établissement public bien géré, c’est ce que l’on aime trouver. Sinon, il est de notre devoir d’agir et d’aller jusqu’au bout », affirme Barbara Falk, convaincue que « les juridictions financières ont un rôle à jouer pour lutter contre la défiance qui affecte les institutions publiques ».
« Ici, je suis chez moi »
Sa nomination à la présidence de la CRC régionale n’est, en tout cas, pas un hasard : la haute fonctionnaire retrouve, depuis quelques mois, une maison qu’elle connaît déjà très bien. « Ici, je suis chez moi », dit-elle.
Originaire de Lorraine et pur produit de la méritocratie républicaine avec des grands-parents ouvriers dans la sidérurgie, cette diplômée de l’IEP Strasbourg, de l’ESSEC puis de l’ENA a commencé sa carrière comme conseillère référendaire au sein de la prestigieuse et redoutée Cour des comptes, la « maison mère » des Chambres régionales des comptes (2007-2011).
Une institution qu’elle retrouve une première fois après un saut de puce de deux ans comme directrice des finances de l’Institut de France (2011-2013), pour prendre le poste de secrétaire générale adjointe en charge de l’Innovation et du numérique (2013-2018). Puis second départ de la Cour des comptes, d’abord pour devenir directrice de cabinet du préfet des Bouches-du-Rhône (2018-2019), période Gilets jaunes et effondrement de la rue d’Aubagne à Marseille (« un poste où l’on apprend vite », commente-t-elle).
Un passage à Metz puis Barbara Falk met le cap sur Lyon
Avant d’être recrutée dans sa ville de naissance comme directrice générale des services de la Métropole de Metz qui vient d’être créée (2019-2022). « Barbara Falk allie expertise, technicité et élégance naturelle, vante Jean-Luc Bohl, qui occupait alors la présidence de Metz Métropole. Je retiens également qu’elle est très attachée à l’écoute des gens, et que c’est une maman très investie dans sa vie de famille », rapporte-t-il à propos de la mère de trois filles franco-américaines (elle a rencontré son mari lors d’une année d’échange aux États-Unis).
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Après cette pige à Metz, Barbara Falk met le cap sur Lyon. Direction la Banque des Territoires (2022-2025), où la directrice régionale revendique un management féminin. « Aujourd’hui, nous avons des femmes qui assument ce qu’elles sont et qui managent de façon différente des hommes. Elles combinent vie professionnelle et vie personnelle. Elles sont différentes dans leur manière d’aborder les dossiers, d’animer les réunions et de prendre des décisions », analyse-t-elle.
Son passage par la filiale de la Caisse des Dépôts, dédiée au financement des collectivités, est salué par la directrice territoriale Rhône et Ain à la Banque des Territoires, Mireille Faidutti : « Barbara est quelqu’un d’intelligent, d’habile et de joyeux, ce qui n’est pas la moindre des qualités. C’est agréable de travailler avec elle. Elle est droite et intègre, et se fait une grande idée du service public. Sans flagornerie, c’est quelqu’un de très bien et de rare. » Mylène Franceschi, la déléguée régionale du groupe La Poste (une autre filiale de la Caisse des Dépôts), prolonge en évoquant une personnalité « brillante qui sait rester simple, ouverte, avec de l’humour et un relationnel direct ».
La volonté « d’être utile »
Et forte de ce parcours très varié, Barbara Falk prend la présidence de la CRC Auvergne-Rhône-Alpes. Elle a, ici, un rôle managérial pour faire tourner la boutique d’une centaine de collaborateurs, ainsi qu’un rôle de programmation, « en accord avec les magistrats de la Chambre », sur la nature des rapports qui nécessitent en moyenne 9 mois de travail avant d’être rendus publics (6 mois pour l’instruction et les autres pour la phase de contradiction).
« Nous avons des moyens limités pour un scope énorme de 7 500 organismes et collectivités que nous pouvons potentiellement contrôler. Et ce n’est pas un hasard si nous choisissons de regarder certains sujets en priorité. C’est aussi pour cela que nous trouvons des choses », renseigne Barbara Falk, dont le job comprend également une fonction institutionnelle avec des visites de courtoisie auprès des élus.
« Barbara Falk est droite et intègre, elle se fait une grande idée du service public »
On imagine que les poignées de main sont parfois un peu fraîches : les rapports de la juridiction financière ont donné lieu, l’année dernière, à dix suites contentieuses (sept au pénal et trois dans le cadre du régime de responsabilité financière des gestionnaires publics). « Avec les élus, nous avons une relation de contrôleur à contrôlés. Ils comprennent que nous sommes une institution de la République, chacun à un rôle à jouer. Et ils savent aussi que le président ne détermine pas le contenu des rapports puisque nos avis sont toujours collégiaux. Ma voix n’est qu’une parmi d’autres. En revanche, c’est moi qui porte ensuite ces rapports, y compris quand les élus ne sont pas contents », décrypte-t-elle.
Et, à écouter le magistrat Philippe Jamin, vice-président de la CRC Auvergne-Rhône-Alpes qui forme un binôme avec Barbara Falk, la nouvelle présidente n’a pas eu de mal à endosser le costume : « Cela s’est fait sans difficulté, elle a immédiatement incarné la fonction de présidente même si sa stratégie reste évidemment à définir avec précision. Elle est arrivée en conscience de tout ce qu’elle sait et en même temps avec une soif d’accroître ses connaissances. Elle se donne toutes les chances de réussir », observe-t-il.
Un mandat non renouvelable
Portée par la volonté « d’être utile », Barbara Falk s’enorgueillit d’être à la présidence d’une institution avec la capacité de « faire évoluer les choses ». Quand il y a des suites judiciaires, bien sûr. Mais aussi parce que « 90 % du travail » de la Chambre consiste en des préconisations « qui sont ensuite mises en œuvre ».
À peine installée, la présidente connaît déjà la date de son pot de départ, dans cinq ans au terme d’un mandat non renouvelable pour garantir son indépendance. « C’est dans mon ADN, mais je ne suis pas ici pour passer l’ensemble de ma carrière », résume-t-elle. Mais Barbara Falk ouvre depuis quelques semaines un chapitre capital de cette carrière, c’est certain.
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